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LES DIEUX ONT SOIF

considérables : il vaudrait mieux que les jurés eussent la robe et la perruque.

La citoyenne avait ouï dire que les fonctions de juré au tribunal rapportaient quelque chose ; elle ne se tint pas de demander si l’on y gagnait de quoi vivre honnêtement, car un juré disait-elle, doit faire bonne figure dans le monde.

Elle apprit avec satisfaction que les jurés recevaient une indemnité de dix-huit livres par séance et que la multitude des crimes contre la sûreté de l’État les obligerait à siéger très souvent.

Le vieux Brotteaux ramassa les cartes, se leva et dit à Gamelin :

— Citoyen, vous êtes investi d’une magistrature auguste et redoutable. Je vous félicite de prêter les lumières de votre conscience à un tribunal plus sûr et moins faillible peut-être que tout autre, parce qu’il recherche le bien et le mal, non point en eux-mêmes et dans leur essence, mais seulement par rapport à des intérêts tangibles et à des sentiments manifestes. Vous aurez à vous prononcer entre la haine et l’amour, ce qui se fait spontanément, non entre la vérité et l’erreur, dont le discernement est impossible au faible esprit des hommes. Jugeant d’après les mouvements de vos cœurs, vous ne risquerez