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LES DIEUX ONT SOIF

Ils arrivèrent à Orangis vers les neuf heures et s’arrêtèrent à l’auberge de la Cloche, où les époux Poitrine logeaient à pied et à cheval. Le citoyen Blaise, qui avait rafraîchi sa toilette, tendit la main aux citoyennes. Après avoir commandé le dîner pour midi, précédés de leurs boîtes, de leurs cartons, de leurs chevalets et de leurs parasols, que portait un petit gars du village, ils s’en furent à pied, par les champs, vers le confluent de l’Orge et de l’Yvette, en ces lieux charmants d’où l’on découvre la plaine verdoyante de Longjumeau et que bordent la Seine et les bois de Sainte-Geneviève.

Jean Blaise, qui conduisait la troupe artiste, échangeait avec le ci-devant financier des propos facétieux où passaient sans ordre ni mesure Verboquet Le Généreux, Catherine Cuissot qui colportait, les demoiselles Chaudron, le sorcier Galichet et les figures plus récentes de Cadet-Rousselle et de madame Angot.

Évariste, pris d’un amour soudain de la nature, en voyant des moissonneurs lier des gerbes, sentait ses yeux se gonfler de larmes ; des rêves de concorde et d’amour emplissaient son cœur. Desmahis soufflait dans les cheveux des citoyennes les graines légères des pissenlits. Ayant toutes trois un goût de citadines pour les bouquets, elles cueillaient dans les prés le