Page:Anatole France - Les dieux ont soif.djvu/183

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
173
LES DIEUX ONT SOIF

derrière une barrière pleine, s’étendait un espace où le public se tenait debout. Cette fois, il y était peu nombreux. L’affaire dont cette section du tribunal allait s’occuper n’intéressait qu’un petit nombre de spectateurs, et, sans doute, les autres sections, qui siégeaient en même temps, appelaient des causes plus émouvantes.

C’est ce qui rassurait un peu Gamelin dont le cœur, prêt à faiblir, n’aurait pu supporter l’atmosphère enflammée des grandes audiences. Ses yeux s’attachaient aux moindres détails : il remarquait le coton dans l’oreille du greffier et une tache d’encre sur le dossier du substitut. Il voyait, comme avec une loupe, les chapiteaux sculptés dans un temps où toute connaissance des ordres antiques était perdue et qui surmontaient les colonnes gothiques de guirlandes d’ortie et de houx. Mais ses regards revenaient sans cesse à ce fauteuil, d’une forme surannée, garni de velours d’Utrecht rouge, usé au siège et noirci aux bras. Des gardes nationaux en armes se tenaient à toutes les issues.

Enfin l’accusé parut, escorté de grenadiers, libre toutefois de ses membres comme le prescrivait la loi. C’était un homme d’une cinquantaine d’années, maigre, sec, brun, très chauve, les joues creuses, les lèvres minces et violacées, vêtu à l’ancienne mode d’un habit sang de bœuf.