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Page:Anatole France - Les dieux ont soif.djvu/209

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LES DIEUX ONT SOIF

boudoirs de l’aristocratie, était la plus perfide invention que les ennemis du peuple eussent imaginée pour le démoraliser et l’asservir ; qu’il était criminel d’arracher du cœur des malheureux la pensée consolante d’une providence rémunératrice et de les livrer sans guide et sans frein aux passions qui dégradent l’homme et en font un vil esclave, et qu’enfin l’épicurisme monarchique d’un Helvétius conduisait à l’immoralité, à la cruauté, à tous les crimes. Et, depuis que les leçons d’un grand citoyen l’avaient instruit, il exécrait les athées, surtout lorsqu’ils l’étaient d’un cœur ouvert et joyeux, comme le vieux Brotteaux.


Dans les jours qui suivirent, Évariste eut à juger, coup sur coup, un ci-devant convaincu d’avoir détruit des grains pour affamer le peuple, trois émigrés qui étaient revenus fomenter la guerre civile en France, deux filles du Palais-Égalité, quatorze conspirateurs bretons, femmes, vieillards, adolescents, maîtres et serviteurs. Le crime était avéré, la loi formelle. Parmi les coupables se trouvait une femme de vingt ans, parée des splendeurs de la jeunesse sous les ombres de sa fin prochaine, charmante. Un nœud bleu retenait ses cheveux d’or, son fichu de linon découvrait un cou blanc et flexible.