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LES DIEUX ONT SOIF

les cloisons et les soupentes. C’est ainsi que le citoyen Remacle, concierge-tailleur, nichait dans un entresol fort abrégé en hauteur comme en largeur, où on le voyait par la porte vitrée, les jambes croisées sur son établi et la nuque au plancher, cousant un uniforme de garde national, tandis que la citoyenne Remacle, dont le fourneau n’avait pour cheminée que l’escalier, empoisonnait les locataires de la fumée de ses ragoûts et de ses fritures, et que, sur le seuil de la porte, la petite Joséphine, leur fille, barbouillée de mélasse et belle comme le jour, jouait avec Mouton, le chien du menuisier. La citoyenne Remacle, abondante de cœur, de poitrine et de reins, passait pour accorder ses faveurs à son voisin le citoyen Dupont aîné, l’un des douze du Comité de surveillance. Son mari, tout du moins, l’en soupçonnait véhémentement et les époux Remacle emplissaient la maison des éclats alternés de leurs querelles et de leurs raccommodements. Les étages supérieurs de la maison étaient occupés par le citoyen Chaperon, orfèvre, qui avait sa boutique sur le quai de l’Horloge, par un officier de santé, par un homme de loi, par un batteur d’or et par plusieurs employés du Palais.

Évariste Gamelin monta l’escalier antique jusqu’au quatrième et dernier étage, où il avait