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LES DIEUX ONT SOIF

de sa vigueur, et qui maintenant, appesanti sous le poids des ans, d’appétit médiocre, se contentait de quatre ou cinq rôtis d’hérétiques en cent ans.

— Au reste, ajouta-t-il, je me suis toujours bien accommodé des théophages et des christicoles. J’avais un aumônier aux Ilettes : chaque dimanche, on y disait la messe ; tous mes invités y assistaient. Les philosophes y étaient les plus recueillis et les filles d’Opéra les plus ferventes. J’étais heureux alors et comptais de nombreux amis.

— Des amis, s’écria le Père Longuemare, des amis !… Ah ! monsieur, croyez-vous qu’ils vous aimaient, tous ces philosophes et toutes ces courtisanes, qui ont dégradé votre âme de telle sorte que Dieu lui-même aurait peine à y reconnaître un des temples qu’il a édifiés pour sa gloire ?


Le Père Longuemare continua d’habiter huit jours chez le publicain sans y être inquiété. Il suivait, autant qu’il pouvait, la règle de sa communauté et se levait de sa paillasse pour réciter, agenouillé sur le carreau, les offices de nuit. Bien qu’ils n’eussent tous deux à manger que de misérables rogatons, il observait le jeûne et l’abstinence. Témoin affligé et souriant de ces