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LES DIEUX ONT SOIF

Et elle colla son visage humide de larmes sur les joues de la jeune femme.

Durant quelques instants, elles gardèrent le silence. La pauvre mère cherchait dans son esprit le moyen d’aider sa fille et Julie épiait le regard de ces yeux noyés de pleurs.

« Peut-être, songeait la mère d’Évariste, peut-être, si je lui parle, se laissera-t-il fléchir. Il est bon, il est tendre. Si la politique ne l’avait pas endurci, s’il n’avait pas subi l’influence des jacobins, il n’aurait point eu de ces sévérités qui m’effraient, parce que je ne les comprends pas. »

Elle prit dans ses deux mains la tête de Julie :

— Écoute, ma fille. Je parlerai à Évariste. Je le préparerai à te voir, à t’entendre. Ta vue pourrait l’irriter et je craindrais le premier mouvement… Et puis, je le connais : cet habit le choquerait ; il est sévère sur tout ce qui touche aux mœurs, aux convenances. Moi-même, j’ai été un peu surprise de voir ma Julie en garçon.

— Ah ! maman, l’émigration et les affreux désordres du royaume ont rendu ces travestissements bien communs. On les prend pour exercer un métier, pour n’être point reconnu, pour faire concorder un passeport ou un certi-