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LES DIEUX ONT SOIF

rémission pour avoir fait du créateur de l’univers un être envieux, sot et méchant, un ennemi de la joie et de l’amour.

— Ah ! ah ! ah ! criait horriblement ce diable, tu as enseigné, vieux bonze, que Dieu se plaît à voir ses créatures languir dans la pénitence et s’abstenir de ses dons les plus chers. Imposteur, hypocrite, cafard, assieds-toi sur des clous et mange des coquilles d’œufs pour l’éternité !

Le Père Longuemare se contentait de répondre que, dans ce discours, le philosophe perçait sous le diable et que le moindre démon de l’enfer eût dit moins de sottises, étant un peu frotté de théologie et certes moins ignorant qu’un encyclopédiste.

Mais, quand l’avocat girondin l’appelait capucin, il se fâchait tout rouge et disait qu’un homme incapable de distinguer un barnabite d’un franciscain ne saurait pas voir une mouche dans du lait.

Le Tribunal révolutionnaire vidait les prisons, que les comités remplissaient sans relâche : en trois mois la chambre des dix-huit fut à moitié renouvelée. Le Père Longuemare perdit son diablotin. L’avocat Dubosc, traduit devant le Tribunal révolutionnaire, fut condamné à mort comme fédéraliste et pour avoir conspiré contre