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LES DIEUX ONT SOIF

Ce qu’il ne rappelait point, par sagesse et bon goût, c’est qu’il avait possédé une galerie de tableaux hollandais que le seul cabinet de M. De Choiseul égalait pour le nombre et le choix des peintures.

— Il n’y a de beau que l’antique, répondit le peintre, et ce qui en est inspiré : mais je vous accorde que les bambochades de Téniers, de Steen ou d’Ostade valent mieux que les fanfreluches de Watteau, de Boucher ou de Van Loo : l’humanité y est enlaidie, mais non point avilie comme par un Baudouin ou un Fragonard.

Un aboyeur passa, criant :

Le Bulletin du Tribunal révolutionnaire !… la liste des condamnés !

— Ce n’est point assez d’un tribunal révolutionnaire, dit Gamelin. Il en faut un dans chaque ville… Que dis-je ? dans chaque commune, dans chaque canton. Il faut que tous les pères de famille, que tous les citoyens s’érigent en juges. Quand la nation se trouve sous le canon des ennemis et sous le poignard des traîtres, l’indulgence est parricide. Quoi ! Lyon, Marseille, Bordeaux insurgées, la Corse révoltée, la Vendée en feu, Mayence et Valenciennes tombées au pouvoir de la coalition, la trahison dans les campagnes, dans les villes, dans les camps, la trahison siégeant sur les bancs de la Convention