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IDYLLES ET LÉGENDES


Or, tandis que, poussant une sifflante haleine,
Accroupis sur les murs, les hommes du pays
Voyaient les feux guerriers s’allumer par la plaine
Et les chevaux d’Yémen tondre les verts maïs,

Une femme, à pas sourds glissant, voilée et belle,
Par les bazars déserts et les noirs escaliers
Et les portes de cèdre ouvertes devant elle,
S’en allait dans la plaine au camp des cavaliers.

Une esclave, portant le vin et les olives,
Noire, au nez un anneau, la suivait en riant
Vers la tente où pendaient des crânes aux solives,
Près des yatagans nus d’acier souple et brillant.

Là, sur une peau fauve et de blanc étoilée,
Croisant les jambes, grave et seul, et de sa main
Lissant sa barbe courte, odorante et bouclée,
L’émir songeait : « Allah I hâtons notre chemin. »

Mais la femme à travers les ténèbres venue
Devant la tente ouverte apparut dans la nuit,
S’étant fait vers l’émir une route inconnue.
Quand la femme nous vient, sait-on qui la conduit ?