Page:Andersen - Contes d'Andersen, traduit par Soldi, Librairie Hachette et Cie, 1876.djvu/335

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autour du front. Mais Élisa n’en ressentit aucune douleur, car il n’y avait pas pour elle d’autre tourment que la destinée de ses frères. Quoique sa bouche fût muette, puisqu’une seule parole leur eût coûté la vie, ses regards témoignaient une profonde affection pour le bon roi qui ne voulait que son bonheur. Tous les jours elle l’aimait de plus en plus : aussi elle aurait pu se confier à lui et lui raconter ses souffrances, mais il fallait qu’elle restât muette pour mener son œuvre à bonne fin. La nuit elle se rendait secrètement dans la petite chambre décorée comme la caverne, elle y acheva six tuniques l’une après l’autre. Elle allait recommencer la septième, lorsque la filasse manqua. Elle savait bien que les orties indispensables à son travail poussaient au cimetière, mais elle était obligée de les cueillir elle-même, et comment y arriver ?

« Ah ! qu’est-ce que la douleur de mes doigts en la comparant à celle de mon cœur ? je me risquerai ; le bon Dieu me viendra en aide. »

Tremblante comme si elle allait commettre une mauvaise action, elle se glisse à la lueur de la lune dans le jardin, parcourt les longues allées, traverse les rues solitaires, et arrive au cimetière. Elle y aperçoit, sur une des plus larges pierres tumulaires, un cercle d’affreuses sorcières qui déterrent les cadavres et en dévorent la chair. Élisa