Page:Andersen - Contes danois, trad. Grégoire et Moland, 1873.djvu/21

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dans ma mémoire et qui y furent sans cesse ranimés par les récits que j’entendis faire, c’est celui du séjour que firent les Espagnols en Fionie pendant l’année 1808[1]. Je n’avais alors, il est vrai, que trois ans. Pourtant je me rappelle nettement ces étrangers au teint brun, qui tiraient des coups de canon. J’allais les voir camper dans une vieille église à moitié démolie, voisine de l’Hôpital. L’un d’eux me prit un jour dans ses bras et pressa contre mes lèvres une médaille d’argent qu’il portait sur sa poitrine. Ma mère, il m’en souvient, en fut fâchée ; mais moi j’aimais l’image qui se voyait sur la médaille et le bon soldat qui me faisait danser, qui m’embrassait et qui versait des larmes en me regardant ; certainement il avait laissé des enfants en Espagne.

« Je vis conduire au supplice un de ses camarades qui avait assassiné un Français. Bien des années plus tard, ce souvenir se raviva tout à coup dans mon imagination et j’écrivis mon petit poème, le Soldat, que Chamisso a traduit en allemand.

« Presque jamais je ne me trouvais avec les autres garçons. Même à l’école, je ne me mêlais pas à leurs jeux pendant les récréations. Je restais seul dans la salle d’étude. Je n’avais nul besoin de leurs amusements. J’avais à la maison assez de jouets ; mon père me les confectionnait. Je prenais plaisir à coudre moi-même des habits pour mes poupées. Ce qui me plongeait dans le ravissement, c’était d’étendre un tablier de couleur, emprunté à ma mère, sur deux piquets, devant un groseiller que j’avais planté dans la

  1. C’était un régiment levé en Espagne par Napoléon Ier et envoyé, par un hasard de la guerre, au fond du Danemark.