Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/19

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Nietzsche a songé, il faut se garder d’en adopter aucun, parce qu’aucun n’épuiserait la matière qui pourtant nous reste, et dont la moindre parcelle a son prix. L’œuvre totale est entre nos mains comme une fresque non encore marouflée à sa place et dont les morceaux sont restés roulés dans l’atelier. Personne ne sait plus comment les ajuster ensemble par leurs bords. Il le faut pourtant, et c’est une aventureuse besogne. Mais on n’élude pas la tâche explicative. Au terme, après avoir donné mes raisons, je n’aurai d’autre ressource que de faire appel au sentiment de l’évidence. Le lecteur jugera si, au sortir de cette étude, les textes de Nietzsche lui parlent un langage plus intelligible .

Enfin, ce travail, il faut le reprendre pour toutes les phases de la pensée de Nietzsche, et la difficulté sera de les délimiter. Nietzsche est de ces esprits qui se renouvellent sans cesse. Devant un obstacle logique, ou lorsqu’une grande expérience intérieure leur ouvre des profondeurs inconnues, ils s’arrêtent et recommencent leur méditation constructive. On a beau jeu, chez Nietzsche, de souligner les contradictions entre ses aphorismes. Il faudrait voir s’ils se contredisent dans le même temps. La vérité est qu’à six ans près aucun lecteur de goût ne peut se tromper sur la date d’une pensée de Nietzsche recueillie au hasard. Chacun de ses systèmes, partiellement incohérents entre eux, se révèle d’une parfaite cohérence en lui-même. La tâche essentielle est de déterminer combien de synthèses Nietzsche a essayées pour traduire sa pensée insatisfaite.

L’habitude s’est prise de reconnaître trois périodes dans sa philosophie : Io Celle du pessimisme romantique (1869-76), où Nietzsche, fidèle non au système, mais à l’esprit de Schopenhauer et de Richard Wagner, essaie de justifier par une métaphysique neuve les attitudes morales que, selon ces pen-