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voyage du condottière

dès le même soir, le tyran commence de sévir, de tuer et d’aimer. Il y a tant d’ardeur en ce baiser, qu’après tout je me demande si le farouche Eccelin n’avait pas aussi son droit de maître et ses vertus. Car enfin on ne le connaît que par ses ennemis. Et quand même il eût été en haine à tout le monde, qu’importe ? Jugés par nos ennemis, nous ne le sommes que par des comédiens, à qui nous avons daigné donner un rôle. Tandis qu’ils le jouent, ils se prennent pour le roi ou le prince qu’ils font ; et vivant même de la pièce, les malheureux, ils calomnient le poète. Mes ennemis sont les bouffons de ma tragédie.

Donatello

Que Padoue soit sacrée à l’homme qui vient du Nord, parce qu’elle lui ménage sa première rencontre avec Donatello. Le génie de cet homme est si beau, il est si grand dans son art, la puissance de son instinct est si rare, que son nom seul le vante assez dans le cœur de ceux qui l’ont compris. Il semble simple comme la nature même, et comme elle il est plein de pensées. Il a toute la grâce avec toute la force. Et son don unique est de les confondre à tel point dans la vie, qu’on ne saisit pleinement l’une qu’à la condition d’être conquis par l’autre.

Dans l’église du Santo, qui resplendit d’une richesse outrageuse, Donatello vieillard a laissé les plus beaux bas-reliefs du monde. L’art ne peut aller au delà. Œuvre sans pareille dans toute la sculpture, par où le modeleur suprême a fait voir quel peintre il pouvait être dans le bronze ou la pierre. C’est une peinture solide, qui a toutes les dimensions qu’elle veut. La foule, l’action, les passions, les caractères, tout est vu par le modelé ;