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trop ignorée ; malheureusement, aucun d'eux ne se trouvait alors à Edimbourg. Allan Ramsay, l'auteur de fins portraits du xviii^ siècle, venait de mourir ; Raeburn, le plus grand peintre de son pays, n'était pas encore revenu de Rome et n'avait pas encore commencé sa longue suite de portraits d'illustres Ecossais; Romney, presque son égal, vivait à Londres. Il y avait cependant dans la ville, malgré ce que dit Ghambers, un portraitiste de talent nommé Martin. Pour quelque raison inconnue, Creech ne s'adressa pas à lui. Il pria un jeune peintre de passage, nommé Nasmyth, qui avait exactement le même âge que Burns et qui était depuis peu rentré d'Italie, de reproduire les traits du poète. Nasmyth s'en chargea sans vouloir accepter aucune rémunération. Grâce à lui, nous avons l'idée de Burns, tel qu'il était alors. Le visage rasé, car il ne porta jamais de barbe, avec ses grands yeux noirs lumineux, son nez droit et sa bouche qu'on sent mobile et souriante, est jeune et charmant. Il frappe surtout par un air franc, ouvert et bon. On dirait qu'il regarde la vie sans soupçon. La tête est tout entière dans un ciel d'aurore, plutôt clair que bleu , plutôt plein de clarté que d'azur , sur lequel volent de petites nues blanches ; plus bas, à la hauteur des épaules, des feuillages, des collines lointaines, au pied desquelles est une ruine et dont les pentes sont lumineuses ; un horizon radieux , fait pour un poète champêtre. Ce jeune visage dans cette jeune atmosphère donne une impression de commencement léger de vie et de journée, d'attente heureuse. Le portrait est, paraît-il, le meilleur de ceux qu'on a de Nasmyth. La facture est ferme, simple, bien tenue et faite pour inspirer confiance^ . On aimerait à croire que la ressemblance fut parfaite. Malheu- semeut, ce n'est là qu'un Burns incomplet. Nasmyth n'était pas homme de taille à peindre cette tête. La touche de Raeburn, lui-même, si sûre et si décidée, était trop calme, trop assise dans ses effets larges et amplifiés 2, pas assez subtile, pas assez chercheuse et pénétrante, pour rendre ce qu'il y avait là de complexe et de divers. La seule main, qui, en Angleterre, l'aurait pu était celle de Joshua Reynolds, la main qui a peint Z^ Banni. Ainsi le portrait de Nasmyth n'est qu'une vision insuffisante de l'homme et de sa vie. Son expression pensive et mélancolique n'est pas rendue. Ses traits avaient quelque chose de plus robuste et de plus massif. Waller Scott dit que Nasmyth, tout en les reproduisant fidèlement, les avait amoindris et comme reculés ^. Il devait y avoir sur ce visage des signes de puissance. Il est impossible que Burns fût alors cet adoles- cent presque candide ; il avait déjà trop souffert et trop vécu. Il y avait

^ Ce portrait se trouve dans la Galerie nationale d'Edimiourg.

2 Voir ses beaux portraits de M.' Alex. Adam, lady Miller, M'"' Scott Montcriff, M" Kennedy à la Galerie tiationale d'Edimbourg.

3 Voir le passage de Walter Scott cité plus haut.