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chose que « oh ! Robert ! » ^ Et c'est un trait de nature vraie. Le nom d'un enfant est le seul mot par lequel les mères sont capables d'exprimer certaines émotions, car il est le résumé des dévouements, des anxiétés, des tendresses innombrables, dont l'enfant est l'œuvre. On devine, après ce cri, un de ces étroits baisers dans lesquels un cœur se soulage de longues angoisses. Après cette première minute réservée à la mère, on se représente l'accueil ferme et grave de Gilbert, celui des sœurs empres- sées, la petite I3ess riant à son père, car elle était assez grande pour le reconnaître ; tandis que l'autre bébé regardait tout effrayé cet homme inconnu et que, derrière tout le monde, les petits domestiques de la ferme, ouvrant de grands yeux, attendaient leur mot de salut familier qui ne leur manqua point. Comment la demeure n'aurait-elle pas tres- sailli de réjouissance? C'était l'enfant prodigue qui revenait, mais roi et maître des cœurs humains ! 11 chassait de la maison la misère, opiniâtre hôtesse ; avec lui entrait l'espoir. On sait cependant que cette scène fut calme, réservée, presque silencieuse 2. Les paysans expriment leurs plus forts sentiments avec des paroles imparfaites et rudimentaires comme leurs attitudes, et les Burns étaient une race peu expansive. Ce fut une de ces entrevues oii l'on dit peu mais oii tous les yeux rougissent. Quant à Robert lui-même, il ne pouvait rentrer sous ce toit sans être remué. Un coup de joie profonde le pénétra. Les mois d'Edimbourg, leurs ivresses, leurs déboires, tout cet intervalle qui le séparait du départ en fut boule- versé, balayé, s'écroula, disparut. Il ne vit plus, dans une illumination soudaine, que le contraste de ces jours attristés et de celui-ci, dont l'orgueil éclatait dans les yeux des siens. Pendant un moment son cœur se réjouit.

On se figure aussi les jours suivants : les visites, les accueils cordiaux, les rencontres dans la rue, les poignées de main, les félicitations, les interrogations, tout l'accompagnement des retours heureux au pays. Il prolongea avec plaisir les causeries avec les amis de la première heure, Gavin Hamilton, Aiken, le D' Mackenzie ; c'étaient des hommes intel- ligents ; leurs compliments tombaient juste et ne détonnaient pas avec ceux auxquels il avait été habitué à Edimbourg. A côté de cela, les abords banals, les compliments maladroits qui insistent sur quelque point vulgaire et bas du succès, les témoignages de sympathie presque pénibles tant ils portent à faux et mettent de l'impatience dans les remerciements qu'on en fait, les curiosités indiscrètes, lourdes, inter- minables, les questions insipides, durent quelquefois l'agacer. Par moments, sa bienvenue à Mauchline ne devait pas différer beaucoup de celle qui fête le soldat ou le marin, lorsqu'ils rentrent gradés dans leur

1 AUau Gunningham. Life of Burns, p. 58.

2 R. Ghambers, tom. II, p. 88.

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