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dévasté l'Ecosse de part en part , abattant sur son passage des forêts comme des champs de blé ; il avait d'un coup renversé tous ces bois et dénudé la montagne qui reparaissait dans son ancienne âpreté.

Ce que Burns a écrit pendant ce voyage qui se rapproche le plus du caractère du site est le fragment sur les fameuses chutes de Foyers , près d'Inverness. C'est encore, remarquons-le, une vue particulière et drama- tique. Cette cataracte de Foyers est d'une grandeur redoutable , elle se précipite perpendiculairement, d'une hauteur de deux cents pieds, dans un bassin de rochers énormes, avec un grondement d'orage, en envoyant en l'air une telle colonne de buée et de poussière d'eau qu'on l'a appelée la « chute de la fumée ».

Parmi des collines vêtues de bruyères et d'âpres bois, La rugissante Foyers verse ses flots aux bords moussus ;

Jusqu'à ce qu'elle se lance sur les amas de rocs,

Où, à travers une brèche informe, son cours retentit.

Haut en l'air, forçant leur chemin, les torrents tombent,

En bas, se creusant d'une profondeur égale, une houle écume,

La nappe blanchissante descend rapide sur le roc,

Et déchire l'oreille étonnée de l'Echo invisible.

Obscurément aperçue, à travers un brouillard qui monte et d'incessantes averses,

La hideuse caverne assombrit son vaste cercle;

Et toujours, à travers la brèche, la rivière peine douloureusement,

El toujours, au-dessous, bouillonne le chaudron horrible...

Bien qu'il y ait une certaine énergie descriptive dans ces vers, elle ne rend pas la formidable puissance de cette cataracte. Il est vrai que rien n'est plus impossible à peindre que ces déluges. Ils se composent de tant de choses de vision et de bruit, et si rapides ; ils consistent si essentielle- ment en une succession vertigineuse d'éclairs , de lueurs et de tonnerres simultanés, que le tableau, s'il veut être exact, est trop étendu et est trop lent. Il ne représente que des fragments et des instants séparés d'un ensemble dont la force est d'être un amalgame, un tourbillon, aussitôt disparu, de tout cela. Même la prose n'y suffit pas. Les descriptions des grandes chutes d'eau par les plus robustes maîtres, celle du Niagara par Chateaubriand ^ celles de la chute du Rhin |)ar Ruskin ou Victor Hugo 2, sont inefficaces. Les mots ne peuvent exprimer celte stupeur qui intimide la pensée et retient toute la vie en une sorte d'épouvante immobile.

A tout prendre , on peut affirmer que Burns n'a pas été ému par le spectacle de cette nature comme on aurait pu s'y attendre, et que ses impressions de paysage ont été bien inférieures à ses impressions histo- riques. C'est l'avis de ceux qui ont voyagé avec lui. Le DAdair, qui eut

1 Chateaubriand. Ataln.

2 Ruskin. Modem Painiers I, part, u, sect. 5, chap. 11, — Victor Hugo. Le Rhin.