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avait aussi sigoé pour sa femme, ce qui porte à croire ou qu'elle était trop émue pour teuir une plume ou que, à cette époque, elle ne savait pas encore écrire. Au-dessous se trouve cette ligne : « M. Burns a donné un billet d'une guinée pour les pauvres. » C'était la fin de la fameuse lutte de Burns contre l'Église.

Cette union enfin conclue, on se demande ce qu'elle était, et surtout ce qu'elle allait être. Pour le moment, elle vivait d'un besoin de repos et d'un reste de passion. Mais cela ne peut aller bien loin ; ce sont comme ces premières provisions avec lesquelles on se met en ménage, et qui permettent d'attendre le pain de tous les jours. Comment la vie commune allait-elle définitivement s'établir? Les deux êtres qu'elle réunissait avaient connu les ivresses, les délaissements, les colères, les déchirements , les rapiècements et , pour employer l'expression de Montaigne, « l'herbe, les fleurs, le fruit ^ » et le regain de l'amour. Ils se hasardaient maintenant à être paisiblement heureux ensemble. Ne leur serait-il pas plus difficile de l'être l'un avec l'autre qu'avec n'importe qui? Pouvaient-ils passer de leur liaison tourmentée au commerce uni et reposant que veut le ménage ?

Pour Jane Armour, il semble que cette transition fût facile. Dans les aventures du passé sa part avait été plutôt de faiblesse et de laisser aller. Il paraît clair qu'elle était heureuse de trouver le repos, de retrouver l'amitié des siens; elle était fière d'être la femme de Robert Burns, d'une fierté mal démêlée et bornée, qui ne comprenait pas toute la valeur de son mari; elle était disposée à se trouver bien partagée, à espérer, comme un gros bonheur, une ferme prospère et une vie de petite aisance.

Mais lui où en était-il? Que pensait-il? ou plutôt que ressentait-il, non pas sur le devant mais dans l'arrière-chambre de son âme, en remuements confus de pensées et en vagues retours sur soi-même? II avait été mené à ce mariage, brusquement saisi par une de ses propres fautes, et lié à une destinée qu'il ne prévoyait pas. Maintenant qu'il se remettait, comment jugeait-il sa condition nouvelle?

Il était impossible qu'il trouvât, impossible qu'il ait cru trouver dans ce mariage la haute union de deux esprits, la joie de deux natures associées par leurs qualités intellectuelles les plus élevées, en une com- munion d'intelligence. Avec Clarinda, avec Margaret Chalmers, il eût peut-être pu goûter cette douceur suprême de la vie ; avec Jane Armour, il devait y renoncer. La plus rare partie de lui-même n'aurait jamais de foyer ; il serait obligé, sur ce point, de vivre avec des étrangers ou de vivre dans sa solitude. Il le disait bien lui-même dans un passage où il

1 Montaigne. Essais, livre m, chap. ii, Du Repentir.