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Ces mois de l'hiver 1788-89 furent probablement les meilleurs de la seconde partie de sa vie. Le contraste les lui faisait mieux goûter. Après tant de vicissitudes, après les derniers six mois si délaissés et si pénibles dans son taudis enfumé ou sur les grand'routes, il retrouvait un foyer, et ce foyer égayé par un pas léger et une voix joyeuse. Il en éprouva comme un bien-être qui lui pénétra jusqu'au cœur. La présence de sa femme sembla le rassurer, chasser les idées noires nées de sa solitude, lui rendre bon espoir et bon courage.

Elle lui était arrivée aussi au bon moment, non pas au temps des labours et des récoltes, alors que le cultivateur ne connaît que les rentrées rapides pour les repas, et les rentrées lasses du soir. Elle était venue avec les mois d'hiver, quand il est plus souvent à la maison. La ferme a pris cette intimité dont Virgile a fait un exquis tableau flamand :

Et qiiidam seros hiberni ad lumiais ignés Pervigilat, ferroque faces inspicat acuto : Interea, longum cantu solata laborera, Arguto coDjux percunit pectine telas, Aut dulcis musti Vulcano decoqnit humoreni Et foliis undani trepidi despumat ahenii.

C'est aussi le moment où le fermier connaît le délassement d'esprit et de corps. Dehors, les champs se reposent ; sous la neige, silencieuse- ment et siiremenl, la terre travaille à préparer les graines pour la vie. L'homme, confiant en elle, oublie les anxiétés qui lui viennent de l'air et qui le ressaisiront dès que les pointes vertes poindront hors du sein maternel des plaines. Il goûte sans arrière-pensée , dans la routine des occupations décrues, la monotone douceur des courtes journées et des longues soirées d'hiver. Toutes ces conditions s'étaient réunies à souhait pour donner à Burns l'illusion du bonheur. On aime à s'arrêter sur ces quelques mois. On imagine le poète écrivant une pièce, le pendant du Samedi soir, représentant, dans un tableau moins patriarcal, le bonheur simple, sain et vigoureux d'un couple dans sa maturité jeune. On a un aperçu de ce qu'aurait pu être sa vie si ses rêves s'étaient réalisés.

C'est dans ces dispositions qu'il acheva l'année 1788 et commença l'année 1789. La plus belle manifestation de ce rassérénement eut lieu le 1" Janvier 1789. Parmi les quelques jours splendides et surpre- nants, qui éclatent çà et là dans la vie de cet homme, il n'y eu a peut-être pas qui rayonne plus que celui-ci. Les souhaits faits autour de lui, Burns pensa à sa vieille amie. M'* Dunlop ; il lui écrivit une lettre admirable, baignée d'une lumière harmonieuse, sereine, pure, chaste et d'une large tendresse. C'est un morceau de prose comparable aux plus beaux de la littérature anglaise.

1 Virgile. Georgiques, liv. i, v. 290.