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On peut imaginer combien il devait être sensible à cette animadversion. Sa fierté si chatouilleuse frémissait à la pensée de ce discrédit. De plus, lui qui était accoutumé à être accueilli par des rires et de la belle humeur, souffrait à l'idée d'être un objet de défiance, de voiries visages s'assombrir à son approche. Quand il serait dans un marché, dans une auberge, oa ne rirait plus de si franche façon. Il serait le publicain suspect. Cela blessait son sentiment de cordialité.

Et puis, que d'autres choses pénibles dont les parties généreuses de son cœur se détournaient ! Tracasser, pourchasser, traquer de pauvres diables, les surprendre, les saisir! Le laid métier ! Voir leurs larmes, entendre leurs lamentations ! Quelquefois, frapper, sévir, quand, à côté des conditions d'évidence réglementaires et imposées, il y a place pour des doutes ou pour des excuses, dont on n'a pas le droit de tenir compte ! La cruelle contrainte ! Etre inexorable, se boucher les oreilles, se durcir le cœur, cacher la pitié qui va vers ces chétifs, feindre la colère, l'impa- tience, l'inflexibilité ! Assister tous les jours au spectacle douloureux des écrasements, que les lourdes roues delà machine politique accomplissent sur les fonds de la société, frapper ces misérables éperdus pour qui un peu de fraude, un peu d'esprit distillé est la ressource, qui ne comprennent pas les impôts et maudissent ces mains infatigables et insatiables qui leur arrachent le prix d'un pain ou d'un vêtement ! La haïssable besogne ! I faut, semble-t-il, de la coercition pour faire aller le monde ; mais il est odieux d'en être l'instrument. On a la preuve que, dans l'exercice de ses fonctions, Burns éprouva toutes ces révoltes ; il était trop clairvoyant pour ne pas prévoir qu'il les éprouverait. Et quel homme, un peu actif de cœur, ne se tourmenterait pas ainsi ?

Enfin, une inquiétude qui lui était particulière, pesait sur sa résolution. [| craignait que ce nouveau métier ne fût défavorable à sa vie poétique. Si, à la vérité, il n'y a pas grande différence apparente entre décharger une charretée de paille et visiter des barils de brasseurs, il y a une grande différence intérieure. Le fermier qui envoie ses fourchées est libre d'esprit, et, tandis que ses bras travaillent, sa pensée peut se reposer sur des objets beaux et nobles. Mais l'employé, pour atteindre la fraude, est obligé d'exer- cer et de plier son esprit au même travail que celui du fraudeur; il faut qu'il dépiste les ruses, débrouille les détours, suive les manèges, évente les supercheries ; il faut qu'il joue au plus fin, se fasse astucieux et serre de près toutes les manœuvres subreptices. Ce peut être un métier attrayant et instructif pour des esprits positifs et fureteurs ; un sentiment de discipline sociale et de devoir professionnel peut, comme il arrive souvent, le rehaus- ser. Mais cette préoccupation, qui toujours en quête des bassesses d'autrui va flairant, le nez sur des roueries, n'est pas propice à la poésie, laquelle veut être libre et vit d'air pur. Et puis, il y a, dans ces métiers élémen- taires de laboureur et de matelot, une largeur et une simplicité, un