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plutôt qu'on ne les reçoit, et qu'on les tord plutôt qu'on n'en jouit. Rien n'est plus propre que ces mouvements excessifs vers le plaisir, à jeter dans des plaisirs excessifs par eux-mêmes. L'âpreté à jouir crée le goût de jouissances plus âpres. C'est surtout pour le cœur que les convales- cences demandent à être lentes et sages. Burns vivait dans un milieu peu propice à ces ménagements. Dans ces ports de la côte ouest , surtout dans ceux situés en face des îles de Man et d'Arran, la contrebande par mer était active. Il y traînait toujours une population de gens , moitié matelots, moitié contrebandiers, aventureux, hardis, achetant , par une vie de duretés et de dangers, des intervalles violents de débauche. Burns se trouvait en contact avec eux à un moment critique. Il s'en ressentit. Ce fut dans sa vie un tournant de grande importance morale et le point de départ de changements profonds dans sa façon d'être, d'où devaient sortir des résultats graves et durables. C'est l'époque que Gilbert et lui-même désignent comme celle où il tomba pour la première fois dans de vrais excès. « Ma vingt-troisième année fut pour moi une ère importante », écrivait-il dans son autobiographie. Kt Gilbert disait : « à Irvine il fit connaissance des gens qui avaient une façon plus libre de penser et de vivre que celle à laquelle il était accoutumé, et cette société le prépara à franchir ces bornes d'une rigide vertu qui l'avaient jusque-là retenu *. » C'est avec grande clairvoyance que Carlyle remarque à ce propos, que « si l'incident le jjIus frappant de la vie de Burns, est son voyage à Edimbourg, sa résidence à Irvine en est peut-être un plus important 2, » Il déplore son initiation à des dissipations et à des vices dont il était resté pur jusque-là. Il donne, par ce rappro- chement, toute sa valeur et tout son relief à un de ces points capitaux d'une existence, duquel bien des péripéties futures dépendront. L'artisan de cette transformation fut un jeune marin nommé Richard Brovvn dont Burns a tracé le portrait et détaillé l'influence sur lui-même.

De celte aventure, j'appris un pou de la vie d'une ville; mais la principale chose qui donna un tour à mon esprit fut que je formai une amitié cordiale avec un jeune homme, un homme supérieur à tous ceux que j'avais jamais vus, mais un flls infortuné du malheur. Il était l'enfant d'un simple artisan ; un homme riche du voisinage l'ayant pris sous sa protection lui avait fait donner une éducation relevée, afin d'améliorer sa position dans la vie. Ce protecteur mourut et laissa mon ami sans ressources juste au moment où il allait se lancer dans le monde ; le pauvre garçon désolé prit la mer ; après des vicissitudes de bonne et de mauvaise fortune, il avait été, peu de temps avant que je fisse sa connaissance, débarqué par un corsaire américain, sur les côtes sauvages du Connaught, sans qu'il lui restât rien. Je ne puis abandonner l'histoire de ce malheureux garçon sans ajouter qu'il est en ce moment capitaine d'un grand navire des Indes Occidentales, appartenant à la Tamise.

1 GUberl's Narrative.

2 Carlyle. Essay on Burnit,