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connaît la pompe éclatante et un peu froide de Thompson ; l'élégance un peu compassée de Shenstone qui, dans sa Maîtresse d'Ecole, traitait un sujet digne de Crabbe à la manière de Spenser. Mackenzie, dont on reverra le nom dans l'histoire de Burns, l'auteur de l'Homme de Sentiment et de l'Homme du Monde, sensible, délicat, exquis, est un Sterne sans la malice, la familiarité, sans le débraillé, sans la pénétration ; c'est un Sterne convenable ; un Sterne pour jeunes personnes et pour pudeurs effarouchées. Au milieu de cela, Ossian, avec ses peintures sauvages et ses grandioses déclamations, toujours dans le sublime ou sur le bord du sublime, haute et noble source de poésie, où passe, quoi qu'on en ait dit, un souffle aussi puissant que les vents orageux. Toutes ces lectures sont faites de gravité et de grandiloquence ; ce sont des lectures de haute tenue, sans abandon, sans familiarité et sans souplesse. Elles fournirent, pendant quelque temps, les aliments de l'esprit de Burns. A ces fréquentations, il s'était haussé à une tonalité de sentiments très élevée , qui s'exprimait d'une façon oratoire : « Tels sont les glorieux modèles d'après lesquels j'essaye déformer ma conduite; et il est ridicule, il est absurde de penser que l'homme dont l'esprit brille des sentiments allumés à leur flamme sacrée, l'homme dont le cœur est gonflé de bienveillance pour toute la race humaine, que l'homme qui peut s'élever au-dessus de cette petite scène des choses, que cet homme pourrait descendre à s'occuper des petits intérêts pour lesquels la race terrœfiliale s'agite , s'échauffe et s'exaspère. O comme ce triomphe glorieux enfle mon cœur! J'oublie que je suis un pauvre diable insigni- fiant, ignoré et obscur, traînant dans les foires et les marchés, quand il m'arrive d'y lire une page ou deux de la nature humaine et d'y saisir les mœurs vivantes quand elles s'élèvent, tandis que les hommes d'affaires me bousculent de tous côtés, comme un obstacle dans leur chemin ^ . » C'est là un bien grand détachement de la vie , et une façon bien hautaine et bien dédaigneuse de la regarder de loin.

L'influence d'Ossian se fait bien sentir dans une certaine façon de s'adresser à la nature, qui n'était ni dans ses habitudes de vie ni dans le ton général de son esprit. Les puissantes et mélancoliques invocations que le chantre de Morven adressait aux vents et aux orages, eurent pendant un temps leur écho dans l'âme de Burns. Le passage suivant, écrit juste à cette époque, en est la preuve. 11 est cité par tous les biographes de Burns , sans qu'ils aient pris la peine de le rattacher à son instant particulier et de marquer ce qu'il a d'anormal.

Comme je suis ce que les gens du monde , s'ils connaissaient un homme comme moi, appelleraient un mortel fantasque, j'ai plusieurs sources de plaisir et de conten-

1 jTo iohn Murdoch, Lochlea, Jan. 15, 1783