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Peire Cardenal ; les hommes sont les fous, mais ils regardent comme fou celui qui ne leur ressemble pas, parce qu’il a le « sens de Dieu » et non celui du « monde ». C’est en somme un véritable sermon que cette fable, mais sous une forme imagée et en quelque sorte populaire. Peire Cardenal a un tempérament de sermonnaire et de prêcheur ; ce côté de son talent sera étudié ailleurs, dans le chapitre suivant consacré à la poésie religieuse.

Quittons la satire générale pour étudier un autre côté important de l’œuvre de Peire Cardenal : ce sont ses satires contre les croisés et contre le clergé. Les premières — contre les Français — sont les moins développées ; Cardenal reproche aux croisés leur intempérance (reproche ordinaire adressé aux hommes du Nord) et leur cruauté. « Les Italiens (Apuliens), les Lombards et les Allemands sont fous, dit-il, s’ils veulent avoir les Français et les Picards pour maîtres et alliés ; car leur plaisir consiste à tuer des innocents[1]. » « Les Français buveurs ne vous font pas plus peur, dit-il ailleurs au comte de Toulouse, Raimon VI, que la perdrix à l’autour[2]. »

Tels sont à peu près les seuls traits de satire contre les hommes du Nord ; une allusion à Simon de Montfort est un éloge de sa vaillance.

C’est au clergé[3] qu’il réserve ses satires les plus hardies et les plus vigoureuses. Ce troubadour est un anticlérical enragé. Peire Cardenal est un croyant sincère, comme on le verra plus loin ; mais il

  1. Ibid., 310.
  2. Ibid., 309. Cf. dans la même pièce la strophe suivante : « Maintenant est venue de France l’habitude de ne convier que ceux qui ont abondance de blé ou de vin ». Sur Simon de Montfort, cf. la pièce Per fols tenc… str. 2 (Parn. occ., p. 311).
  3. Clercs et Français sont attaqués ensemble dans une strophe de la pièce Tartarasso ni voutour (Parn. occ., p. 320). Mêmes attaques dans une poésie de Guillaume Anelier de Toulouse, Raynouard, L. R., 481.