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Raimbaut y prépara les esprits par un énergique sirventés.

J’aime mieux, s’il plaît à Dieu, mourir là-bas, que vivre et rester ici. Pour nous Dieu se laissa lever en croix, il reçut la mort, souffrit la passion, fut battu et chargé de chaînes et couronné d’épines sur la croix… Que saint Nicolas de Bari guide notre flotte, que les Champenois dressent leurs gonfanons et que le marquis s’écrie : Montferrat et Léon… Beau Cavalier (c’est Béatrice qui est ainsi désignée) je ne sais si je reste pour vous ou si je prends la croix — je ne sais si je pars ou si je reste, car je meurs de douleur si je vous vois et je pense mourir si je suis loin de vous[1].

Ce sont les mêmes sentiments qu’il exprima dans une touchante élégie composée pendant la croisade. L’expédition fut d’abord brillante pour lui et il y gagna biens et honneurs. Mais ils ne lui firent pas oublier Béatrice.

Que me valent conquêtes et richesses ? Je me tenais pour plus riche quand j’étais aimé et que je me repaissais d’amour courtois ; j’en aimais mieux un seul plaisir que tenir ici terres et grand avoir ; car plus mon pouvoir augmente, plus je suis triste, puisque mon Beau Cavalier et son amour sont loin de moi[2].

Raimbaut de Vaquières avait exprimé le vœu de mourir à la croisade plutôt que de vivre et de rester en Italie ; ce vœu fut exaucé. Le marquis de Montferrat fut tué dans une embuscade et Raimbaut tomba sans doute à ses côtés (1207) ; entre temps Béatrice était morte[3].

Raimbaut de Vaquières est le plus brillant des

  1. Saint-Nicolas de Bari : le comte de Champagne et celui de Bar faisaient partie de l’expédition. Mais est-ce Saint-Nicolas de Bar ou de Bari qu’il faut entendre ? Sans doute de Bari.
  2. Raynouard, Choix, IV, 277.
  3. Cf. Diez, Leben und Werke, p. 239.