Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/92

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est le cas de rappeler ici la jolie tenson citée dans un chapitre précédent sur les mérites du cœur et des yeux pour le maintien de l’amour. « Le cœur voit de loin, les yeux de près seulement », dit l’un des interlocuteurs : c’est à ses côtés que se serait rangé Bernard de Ventadour et surtout Jaufre Rudel qui s’éprit de la princesse lointaine pour le bien qu’il en avait entendu dire.

Les « yeux » jouent un grand rôle dans la poésie provençale : c’est par eux que commence le phénomène un peu mystique de l’enamorament. La vue de l’objet aimé frappe les yeux et produit souvent l’extase ; une sorte de fluide mystérieux va de là au cœur et y éveille l’amour.

Le troubadour Aimeric de Péguillan est un de ceux qui ont le mieux exprimé les divers moments de ce phénomène.

Amour parfait, je vous l’assure, ne peut avoir ni force ni pouvoir si les yeux et le cœur ne les lui donnent. Car les yeux sont les truchements du cœur, ils vont chercher ce qui plaît au cœur, et quand ils sont bien d’accord et que tous trois sont fermement unis, alors le vrai amour tire sa force de ce que les yeux font agréer au cœur. Que tous les amants sachent que l’amour est l’accord parfait du cœur et des yeux ; les yeux font fleurir l’amour, le cœur donne les graines, l’amour est le fruit[1].

C’est le même Aimeric qui a chanté dans les termes suivants les bienfaits de l’amour.

Les plaisirs qu’il donne sont plus grands que les chagrins, les biens plus grands que les maux, les joies plus

  1. Mann, Gedichte, no 737. La deuxième citation est tirée du no 344.