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ont tué votre mari, ce pauvre baron de Ranspach, et à coups de canon encore ! un homme de soixante-dix ans, qui ne leur disait rien ! qui était tranquillement à dîner chez lui… deux heures de détonation, à une demi-lieue de ses oreilles, ça lui a figé le sang !

WILHELMINE.

Le souvenir de M. de Ranspach me sera toujours cher ! sans famille, sans fortune, je trouvai en lui un appui, un protecteur.

MINA.

M. le baron vous a laissé de grands biens et de gros revenus, c’est vrai ; mais, après vous, tout doit retourner à M. Frédéric de Spelberg, le neveu du défunt.

Air : Parnasse des dames.
––––––Heureusement que de la tante
––––––Le neveu s’ trouve le doyen ;
––––––L’une à vingt ans, l’autre cinquante,
––––––Que le neveu se tienne bien !
––––––Je sais qu’en dépit de son âge,
––––––Il compte rester le dernier,
––––––Mais avant qu’arriv’ l’héritage
––––––On verra partir l’héritier,
––––––Vous hénirez d’ votre héritier.
WILHELMINE, riant.

Ce pauvre Frédéric te déplaît donc bien ?

MINA.

Il me crispe les nerfs avec ses petites mines, ses cajoleries ; avec ça qu’il est toujours pommadé et musqué à en incommoder les gens.

WILHELMINE.

Il a pris les habitudes et les manières de la cour de Louis XV, au milieu de laquelle il a passé sa première jeunesse.

MINA.

Je le déteste au point que, si jamais il arrive à ses fins et qu’il vous épouse, je quitte votre service.

WILHELMINE.

M’épouser, lui !

MINA.

Oh ! il en a grande envie, l’héritage lui reviendrait tout de suite, et il en a besoin… attendu qu’il ne lui reste plus de sa fortune passée qu’un vieux château tout noir, qui ressemble à un affreux pigeonnier.

WILHELMINE.

Tu te trompes, Mina ; mon cousin ne pense pas du tout à moi.

MINA.

Oh ! je m’y connais !

UN DOMESTIQUE, annonçant, du fond.

M. Frédéric de Spelberg.

MINA, faisant un mouvement pour sortir.

Ah !

WILHELMINE.

C’est de l’antipathie !

MINA.

C’est plus fort que moi, M. le baron m’agace comme une pomme verte !


Scène II.

Les Mêmes, FRÉDÉRIC, un peu gris, entrant par le fond.
FRÉDÉRIC, à Mina.

Eh ! eh ! bonjour, petite.

MINA.

Votre servante, monsieur le baron.

Elle sort par le fond.

FRÉDÉRIC[1].

Comment se porte ma chère et belle tante ?… belle, c’est le mot ; car le noir vous sied à ravir ; vous avez ainsi quelque chose de la Dubarry… Permettez, baronne. (Il lui baise la main.) Le roi Louis XV aurait fait bien des folies pour cette petite main-là, et j’en ferais plus encore que le roi Louis XV.

WILHELMINE.

Vous ?

FRÉDÉRIC.

Oui, ma gentille petite tante, je ferais sauter mon château de Spelberg, s’il vous prenait envie de voir danser ses vieilles pierres.

WILHELMINE.

En vérité ?

FRÉDÉRIC.

Oh ! vous n’avez qu’à parler.

WILHELMINE.

Ces paroles, ce regard… qu’avez-vous donc aujourd’hui, mon cher neveu ?

FRÉDÉRIC.

Je suis en belle humeur ; ce matin, j’ai eu quelques réminiscences de mes petits soupers de Paris, le Champagne a pétillé… après le Champagne, la gaîté, l’esprit… oui, ma tante, quand je suis gai, j’ai beaucoup d’esprit… à Paris, quand je m’égayais, je faisais rage… c’était à qui me pousserait à la porte, en disant : Il est insupportable !

WILHELMINE.

Vous êtes, je-crois, dans un de ces momens-là.

FRÉDÉRIC.

Oui, c’est possible… à déjeuner, j’ai été très-folichon… j’ai fait un extra, une petite grisotte, comme disait Dorat, avec une ancienne connaissance, un petit collet, un ex-abbé que j’ai retrouvé capitaine de la république… ah ! ah ! ah ! il a bien changé, il boit moins qu’autrefois !

WILHELMINE.

Vous avez déjeuné avec un capitaine français ?

FRÉDÉRIC.

Sans doute ; il s’est souvenu de moi, et m’est venu faire visite dans mon château, où il s’est installé, avec une quinzaine de grenadiers, qu’il m’a présentés.

WILHELMINE.

Quinze grenadiers !

FRÉDÉRIC.

Des hommes superbes, et bons vivans, je vous

  1. Mina, Frédéric, Wilhelmine. Frédéric. Wilhelmine.