Page:Annales de géographie - Tome 11 - 1902.djvu/23

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lement circonscrits entre la Méditerranée et la mer du Nord, c’est-à-dire dans un intervalle cinq ou six fois plus petit que celui que l’Américain embrasse entre ses deux Océans. Il convient d’ajouter à l’étendue une autre circonstance non moins importante, c’est la faible densité de population. Si l’on compare aux États-Unis cette province chinoise de Sseu-tch’ouan, une des plus riches mais des plus retirées, où, suivant le rapport de notre Mission Lyonnaise, le salaire journalier moyen d’un ouvrier est d’environ 35 centimes, on a sous les yeux les antipodes du monde économique. Il s’agissait donc pour l’Américain de transporter économiquement à 2,000 kilomètres de distance les produits des Prairies aux ports de l’Atlantique, de rendre mobiles et circulantes des masses énormes de minerais et de houille : c’est par le triomphe du machinisme qu’il y est parvenu. Le développement de la force mécanique sous toutes ses formes, vapeur ou force hydraulique, à tous les degrés, depuis l’élévateur gigantesques jusqu’aux applications les plus minutieuses et délicates, est devenu la marque de l’Américanisme. L’existence d’un outillage incomparable de transport n’a pas été sans influer sur la mentalité américaine. À ces facilités de locomotion se sont adaptées des habitudes de vie qui tranchent avec les nôtres. Les foyers de production et les grand ports dans lesquels leurs produits se centralisent, les pays du blé, du fer, des métaux précieux, les paysages mêmes que l’Américain, fatigué de ses plaines monotones, peut opposer à nos Pyrénées et à nos Alpes, tout se trouve séparé par de grandes distances. Néanmoins ces points éloignés rentrent dans le cercle de son activité, de ses spéculations habituelles ; ils se combinent pour lui aussi naturellement que le font pour nous les scéneries qui se concentrent de la Bretagne aux Vosges, de la Flandre à la Côte d’azur. De là des associations d’idées qui rapprochent dans ces esprits des objets pour nous disparates ou très éloignées. Cette disposition les porte, dans les arts, à synthétiser tous les styles. Elle leur inspire, dans leurs rapports avec la vieille Europe, ce remarquable éclectisme qui, malgré le haut sentiment qu’ils ont d’eux-mêmes, les pousse à choisir dans différents pays ce qu’ils jugent de meilleur pour l’incorporer à leur vie nationale. Je laisse à d’autres le soin de dire si finalement ce peuple, mieux préparé que tout autre aux relations à grande distance, ne devait pas aboutir à une politique générale en rapport avec ses habitudes, et à laquelle il ne lui coûterait guère d’accommoder ses visées.