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tion à relire les comiques aventures de cette Arabella qui modèle ses sentiments et son langage sur ceux des héroïnes de La Calprenède et de Mlle de Scudéri. En même temps qu’elle écoutait, avec un sourire, les discours d’Arabella sur les mérites d’Oronte et d’Orondate ou sur les vertus de l’incomparable Mandane, Jane Austen laissait aller sa pensée vers une héroïne encore inconnue de tous, et qui devait quelques traits au personnage de Mrs. Lenox. Arabella évoquait en son esprit cette jeune fille qui aujourd’hui porte dans « L’abbaye de Northanger » le nom de Catherine Morland.

Les lettres écrites de Southampton parlent encore d’autres livres. À chaque nouveau roman qu’elle lit, Jane Austen transmet à sa sœur ses impressions. Elle saisit toute l’absurdité des romans à la Radcliffe mais ne se défend pas d’y trouver un certain charme ; elle ne sait pas résister à l’envie de connaître les plus récents spécimens du genre et même les lit jusqu’au bout. « Nous sommes en train, dit-elle, de lire « Margiana » et l’aimons beaucoup. Nous allons être transportés dans le Northumberland, et enfermés à Widdrington Towers où se trouvent déjà deux ou trois séries de victimes, emprisonnées par un très sympathique scélérat ».[1] « Margiana », qui venait alors de paraître, est un roman en cinq volumes dans lequel un auteur anonyme a déployé toutes les ressources d’une fertile invention. Comme il est de règle dans cette sorte d’ouvrages, le « très sympathique scélérat » est doué d’une force physique, d’une puissance d’imagination et de volonté qui tiennent du prodige. Ses victimes — l’héroïne surtout — possèdent une vertu incomparable, devant laquelle échouent toutes les embûches et toutes les persécutions. Quelques lignes plus loin, Jane Austen parle de « Marmion » qu’elle avait déjà lu six mois auparavant sans l’admirer. Son opinion au sujet du poème de Walter Scott s’est évidemment modifiée : « J’enverrai demain « Marmion » à Frank et je me vante d’agir en cela avec une grande géné-

  1. Lettres. 10 janvier 1809.