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CHAPITRE II


La peinture de la « gentry » dans le roman de
Jane Austen.
Les hommes et la vie active.


Pour exprimer sur une toile leur vision de l’univers, les vieux maîtres italiens adoptaient fréquemment le naïf expédient d’une division en trois parties : en haut, le ciel avec Dieu et ses anges, en bas l’enfer, ses damnés et ses tortures, tandis qu’au milieu et comme en une sorte de purgatoire, était figuré le monde terrestre, avec ses apparences fugitives et ses plaisirs trompeurs. Faisant par là l’aveu involontaire de l’importance qu’avait à leurs yeux chacune des trois régions ainsi représentées, ces artistes épris du réel consacraient à la partie médiane de leur tableau une très vaste surface en comparaison de celle qu’ils accordaient aux visions bienheureuses ou horrifiques de l’empyrée et de l’enfer.

C’est à une telle division, arbitraire sans doute, mais qui correspond néanmoins très étroitement à une certaine vision de la vie et du monde, que l’on ne peut s’empêcher de penser en étudiant la manière dont Jane Austen a vu et interprété la société de son temps. La « gentry », cette classe particulière à la société anglaise, tenant à la fois à l’aristocratie et à la classe moyenne entre lesquelles elle forme un degré intermédiaire, n’est pas seulement la classe que Jane Austen connaît le mieux, elle est encore la seule qu’elle désire connaître. Pour elle, la « gentry » est au centre de l’univers. Au-dessus de la « gentry », la noblesse occupe une sorte d’empyrée dont elle ne cherche point à explorer les sphères. Plus bas, il existe, elle le sait, mais ne s’en soucie guère, toute une région habitée par le vulgaire : serviteurs, fermiers et paysans. Son regard ne s’efforce pas de pénétrer au delà du milieu où elle vit ; elle se contente d’ob-