Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/438

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et bon sens. Dès ce moment, je n’ai pas vu clair en moi-même ».[1]

C’est dans ces nuances, insaisissables pour un regard moins pénétrant, que nous suivons l’évolution d’un caractère et voyons chaque personnage revêtir à nos yeux la physionomie morale qui lui est propre. Mais une série de notations aussi délicates, aussi nuancées, si elle était présentée sous la forme d’un récit ou d’une description, perdrait par cela même tout son mérite. Un « portrait » psychologique a le défaut de fixer définitivement une physionomie avec une expression immuable, des lignes dures et trop arrêtées. Le devenir incessant de la vie, l’inépuisable nouveauté et la diversité des réactions par lesquelles un être répond à l’action des circonstances extérieures, tout ceci ne peut entrer dans le domaine de la psychologie descriptive. Jane Austen, dont le sens du réel et du vrai avait maintes fois été offensé par la lecture de romans où, disait-elle, « les personnages apparaissent seulement pour que l’auteur ait le plaisir de les décrire », [2] laisse ses héros se révéler eux-mêmes.

D’Emma, de Fanny ou d’Elizabeth, nous connaissons, non seulement le caractère, mais le travail secret de la pensée qui fait naître et dirige l’activité extérieure. Parfois une rêverie nous permet de les entendre penser, méditer, réfléchir. S’ils ne doivent pas être protagonistes dans les petites comédies au spectacle desquelles les lecteurs du roman sont conviés, les personnages laissent voir leur caractère dans un mot révélateur, dans une action significative. Nous n’avons qu’à écouter ces personnages et à les regarder pour les connaître et les juger. Quelle analyse de l’égoïsme placide, de la sottise de Lady Bertram pourrait égaler l’effet produit par cette phrase prononcée au moment où l’on discute si la petite Fanny partagera les leçons et les jeux de ses cousines : « J’espère qu’elle ne tourmentera pas mon pauvre carlin, je viens seulement d’obtenir que Julia le laisse

  1. Orgueil et Parti pris. Chap. XXXVI.
  2. Lettres. 25 novembre 1798.