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valu à Jane Austen et lui gardera en dépit des années une place non loin des plus grands artistes et des plus puissants créateurs.


Une des conditions essentielles à la production d’une œuvre d’art est que son auteur découvre le secret d’harmoniser et d’équilibrer les divers éléments dont elle est composée. L’accord entier et ininterrompu entre la fin à atteindre et les moyens employés, indispensable à tous les arts, l’est plus encore à celui de l’écrivain : le sujet d’un roman et son style doivent être en correspondance étroite et constante. Aussi ne peut-on juger du style d’un auteur sans tenir compte de l’usage auquel celui-ci l’a destiné. Étudier le style de Jane Austen comme une chose morte, comme autant de mots et de phrases présentant telles ou telles caractéristiques serait une besogne fastidieuse et inutile : pareil aux sujets de ses romans ce style est simple, uni, sans recherche, sans affectation, sans autre originalité que sa simplicité et sa spontanéité parfaites. Que d’autres artistes sachent exprimer en des paroles magnifiques et fortes des pensées profondes, Jane Austen n’aspire qu’à trouver l’expression la plus claire, la plus fidèle, évoquant le mieux cette réalité moyenne qu’elle se plaît à reproduire. « Les termes les mieux appropriés » [1] aux sujets que traite un romancier, sont ceux qu’elle admire dans « Cecilia » de Miss Burney, et dans « Belinda » de Miss Edgeworth, ceux aussi qu’elle emploie pour peindre une scène ou pour révéler d’un mot un caractère. Les sujets qu’elle choisit étant toujours empruntés à la vie aisée et paisible de gens de bonne compagnie, son style demeure invariablement au ton moyen, mesuré et discret d’une conversation de salon. Habituée dès l’enfance à entendre et à parler une langue correcte et pure, même dans les entretiens les plus familiers, elle écrit sans se préoccuper du style, sûre qu’elle aura fait assez si elle

  1. L’abbaye de Northanger. Chap. V.