Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/480

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de vue ordinaire qui contiendrait un jugement moral, sont envisagées uniquement dans leurs rapports avec la raison.

Guidés par celle qui se propose de rire d’elle-même et des autres, nous assistons au second chapitre de « Bon sens et Sentimentalité » à une discussion entre Mme Dashwood et son mari. Il y a dans ce passage où l’humour de Jane Austen se manifeste de la façon la plus caractéristique, l’exposition lucide, raisonnée, parfaitement sérieuse et solide, d’un jugement entièrement faux. La logique à rebours qui s’exprime là est mise au service de la cupidité et de l’égoïsme. Mais ce que désire l’auteur n’est pas de nous faire mesurer jusqu’où peuvent aller de tels défauts, son dessein est nous associer à l’amusement que lui cause l’irrésistible argumentation de Mme Dashwood. Il s’agit de savoir ce que doit faire John Dashwood, à qui son père a recommandé en mourant sa veuve et les trois filles qu’il laisse sans fortune. John Dashwood pense d’abord à assurer une rente viagère à sa belle-mère, mais sa femme lui fait sentir les dangers et les inconvénients d’une telle entreprise : « Je ne sais si vous l’avez remarqué, les gens à qui l’on sert une rente viagère ne se décident plus à mourir. Votre belle-mère est pleine de force et de santé, et elle n’a pas encore quarante ans. Une rente à payer, c’est une chose très sérieuse, qui se renouvelle tous les ans… on n’arrive pas à s’en libérer… L’ennui des rentes viagères, j’en sais quelque chose, car ma mère était tenue, aux termes du testament de mon père, à en servir à trois ou quatre vieux domestiques. Elle ne se sentait pas maîtresse de son bien, me disait-elle, tant que ces gens avaient le droit de lui réclamer quelque chose. Mon père avait eu grand tort de mettre cette clause dans son testament, d’autant plus que, sans cela, toute sa fortune aurait appartenu à ma mère sans restriction aucune… Je suis convaincue que votre père n’avait pas la moindre intention de vous obliger à donner une somme quelconque à votre belle-mère. Il ne pensait, j’en suis sure, qu’aux services que vous pourriez aisément lui rendre, comme par exemple, lui trouver une maison, l’aider à déménager