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qu’une mouche, et une jeune fille enfiler d’un fil invisible une aiguille qui ne l’était pas moins », [1] Jane Austen écoute les discours de Mr. Collins sur la bienveillance de Lady Catherine de Bourgh ou les remarques de Mr. Woodhouse sur le danger qu’il y a à manger une trancbe de « wedding-cake ». Lilliputiens et habitants d’une petite paroisse du Surrey ou du Hampshire se doutent bien peu que leurs travaux et leurs préoccupations peuvent sembler vains ou risibles. Ainsi que l’a si justement remarqué un critique anglais, « le spectacle du royaume de Lilliput ne revêt une signification particulière que lorsque les yeux de Gulliver le contemplent ». [2] Mr. Collins, Mr. Woodhouse ou Miss Bates deviennent des figures humoristiques parce que la réalité, telle qu’ils la conçoivent, ne correspond point à la vision du réel de celle qui les observe. Aux yeux de leurs amis, dans leur étroit milieu provincial, ils sont des êtres qu’on estime et qu’on aime. Peu de gens à Highbury songent à rire des longs discours de Miss Bates, de la vanité de Mme Elton ou des manies de Mr. Woodhouse. Ils voient ces défauts de trop près et trop souvent pour en être frappés. Lorsqu’il s’agit, pour les quelques personnes qui composent la meilleure société de Highbury, de se faire une opinion sur les mérites d’une nouvelle venue, on suit la loi du moindre effort et, parce que tout le monde lui a accordé la louange d’un compliment banal, on vante à l’envi Mme Elton. « La plupart des gens, soit qu’ils fussent disposés à l’admiration ou peu accoutumés à se former par eux-mêmes une opinion ou encore, croyant de bonne foi que la jeune mariée devait être aussi intelligente et aussi charmante qu’elle le donnait à entendre, n’avaient qu’à se trouver très satisfaits ; l’éloge de Mme Elton passa donc de bouche en bouche comme il convenait ». [3]

Comme pour rendre sensible la distinction établie par l’humour entre le point de vue de l’acteur et celui du spec-

  1. Gulliver’s Travels. Part. I. Chap. VI.
  2. The English Novel, by Walter Raleigh. (London 1904).
  3. Emma. Chap. XXXIII