Page:Annales de la société Jean-Jacques Rousseau, tome 1.djvu/112

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rappelons pas tous les domestiques que nous avons pu voir dans la maison paternelle, ni tout ce que nous avons pu leur dire ; et si l’un d’eux, quelques années après, se trouve être un homme considérable, il peut bien se souvenir de nous sans que ce qu’il en dira réveille aucune impression dans notre cerveau. Pour Marion, si elle vit, elle se rappellera Rousseau. Mme Basile, si elle vivait, se le rappellerait aussi, car les scènes que Rousseau a retracées relativement à elle ont eu une égale importance pour elle et pour lui. J’avoue que je n’en suis pas encore au bout de mes étonnements sur cet étrange homme. Je l’admire et me fâche contre lui encore tous les jours à neuf. M. le ministre Chaillet[1] a dit avec assez de justesse, ce me semble, qu’il aimait les scènes, qu’il grossissait par plaisir les objets pour en faire un tableau frappant dont lui-même était un des personnages… M. DuPeyrou se fâcherait, je crois, s’il savait ce que j’ose vous dire ; j’aurais beau crier : « C’est M. Chaillet ! C’est M. Chaillet ! » Je doute que cela me pût sauver de son courroux… (29 janvier 1790).

Ces réserves sur le caractère énigmatique de Rousseau ne l’empêchèrent pas d’entreprendre son éloge pour l’Académie française, qui avait mis ce sujet au concours. Cependant, comme, dans l’intervalle, la publication de la fin des Mémoires avait causé quelque scandale, elle eut un doute sur les intentions de l’Académie et s’en informa auprès de Marmontel, qui lui répondit : « La sensation produite a été diverse, selon les esprits et les mœurs, mais, en général, nous sommes indulgents pour qui nous donne du plaisir. Rien n’est changé dans les intentions de l’Académie, et Rousseau est traité comme la Madeleine : Remittuntur illi peccata multa quia dilexit multum. »

Elle ne se mit à l’œuvre qu’au dernier moment, à la fin d’avril, ainsi qu’on peut voir dans l’Avis qui précède l’éloge imprimé. Le manuscrit devait être à Paris avant

  1. Le pasteur Chaillet, esprit si original et rédacteur fort remarquable du Journal helvétique.