Page:Annales de la société Jean-Jacques Rousseau, tome 1.djvu/72

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ner de fond en comble les constitutions politiques et la religion chrétienne. Les principes qu’il pose sont très dangereux. C’est un fanatique atrabilaire d’autant plus à craindre qu’il écrit on ne peut pas mieux. On a craint pendant plusieurs jours que le jugement du Conseil n’excitât des troubles, car il y a ici bien des fanatiques aussi fanatiques que lui. Il a paru une lettre anonyme en sa faveur, qui a d’abord fait beaucoup d’impression, mais les bons propos des têtes sages l’ont insensiblement effacée. La conduite de Mrs de Berne y a beaucoup contribué. Il est bien cruel que l’esprit et l’éloquence de cet homme n’aboutissent qu’à soutenir des paradoxes et à troubler la société[1].

Il n’est point surprenant que Tronchin juge les théories politiques et religieuses de Rousseau fausses et dangereuses. Cela devait lui paraître ainsi, à lui qui avait le culte du passé et résumait dans sa personne les idées diverses et les divers sentiments avec lesquels Jean-Jacques entrait en guerre. Le docteur plaçait au-dessus de tout la religion, il la considérait comme le seul gardien efficace de la civilisation, comme « aussi indispensable à l’éducation de l’enfant que la sève l’est à l’arbre. » Comment n’aurait-il pas été révolté des attaques de Jean-Jacques contre le catéchisme, de sa prétention de laisser son élève jusqu’à l’âge de raison dans l’ignorance de l’existence de Dieu ? Le quatrième livre de l’Émile est aux yeux de Tronchin un code complet de déisme. « Rousseau, dit-il, pourra se vanter d’avoir fait bien du mal et d’avoir poignardé l’humanité en l’embrassant[2]. »

Par traditions de famille, par raison, Tronchin aimait la forme de gouvernement républicain qui était celle de sa patrie. Il estimait que Genève était redevable à son régime aristocratique du maintien de son indépen-

  1. Mss. Tronchin. Lettre du 7 juillet 1762, inédite.
  2. Maugras, Voltaire et J. J. Rousseau, p. 189.