Page:Annales de la société Jean-Jacques Rousseau, tome 1.djvu/77

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est une calomnie. Vous savez aussi ce qui en est. Oh ! que cet homme joue un rôle difficile. Encore une fois qu’il est malheureux[1].

L’abdication de Rousseau fut, on le sait, le point de départ de graves événements à Genève. Blâmé par ceux mêmes qui lui étaient restés fidèles, Jean-Jacques pour se justifier fit répandre dans la ville des copies de sa Lettre au Conseil. Les esprits s’échauffèrent quarante bourgeois sous la conduite de De Luc adressèrent au Petit Conseil une « Représentation » fondée sur ce que le Consistoire n’avait pas été consulté avant la condamnation de l’Émile et demandant, en conséquence, que le jugement fût rapporté.

Tronchin écrit encore à son fils :

Nous avons eu ici un commencement d’orage… Tu sais que Rousseau a abdiqué sa bourgeoisie. C’était le comble de l’orgueil. Non content de cette démarche, pour se venger de sa patrie il a voulu la troubler. Il y a formé un parti qu’il a engagé à faire des représentations au Conseil aussi injustes que séditieuses. De Luc, à la tête de ce parti, a séduit le plus grand nombre de ses concitoyens ; mais le Conseil s’est si bien comporté et a répondu avec tant de sagesse et de force que Rousseau et De Luc sont restés couverts de honte… On a de Rousseau deux lettres écrites le même jour, l’une à Moultou, où il prêche la paix et la concorde, l’autre à Marc Chappuis, où il encourage à l’émeute, et se plaint de ce qu’on a tant tardé, et puis, fiez-vous aux hommes !…[2]

Le débat s’élargit. Les Représentants ne se bornaient plus à protester contre l’illégalité d’un jugement, ils en vinrent à discuter « le droit de veto » du Gouvernement et à réclamer la convocation d’un Conseil Général, seul juge, à leurs yeux, des points contestés. L’appui que Rousseau prêtait à ces « Représentations », l’agi-

  1. Bibl. nation. Mss. français, nouv. acq. 6594. Recueil de Lettres adressées de Genève à M. Grimm, 20 juin 1763, inédit.
  2. Mss. Tronchin. Lettre du 1er juillet 1763. Publ. par M. E. Ritter dans les Étrennes chrétiennes, t. XX. p. 210-211.