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THÉORIE

les mots de cette langue. C’est là, en particulier, un moyen dont on pourrait profiter avec avantage pour l’enseignement des langues mortes dans nos écoles. Un de ses fruits les plus précieux serait d’exercer perpétuellement le jugement pour lequel, en général, on fait si peu dans nos gothiques systèmes d’éducation.

« Parce qu’il y a des mots qu’on peut définir, dit Condillac, on a voulu les définir tous »[1] ; mais, parce qu’il y a des mots qu’on ne saurait définir, Condillac en a conclu qu’il n’en fallait définir aucun, ce qui n’est guère plus sensé. Il cite pour exemple le mot triangle, et prétend que, pour faire comprendre la signification de ce mot, on n’a rien de mieux à faire que de montrer l’objet qu’il désigne ; mais, qui ne voit que le mot triangle, comme la plupart des mots de nos langues, n’exprime pas un être unique et individuel, mais une infinité de figures, différentes de forme et de grandeur ; de sorte que quelqu’un qui en aurait vu mille, serait bien loin de les connaître toutes ; tandis qu’elles sont toutes comprises dans la définition qu’on en donne, et qu’elles ne peuvent toutes se trouver que là. Il n’est pas même rare de rencontrer des gens étrangers à la géométrie qui, par ignorance de l’exacte définition du mot triangle, se persuadent que, pour qu’une figure mérite cette dénomination, il est nécessaire que deux de ses côtés soient égaux, que le troisième soit horizontal et que le sommet opposé soit tourné vers le haut ; il en est même quelques-uns qui, outre ces conditions, exigent de plus l’égalité des trois côtés[2]. Toutes ces méprises sont une conséquence toute naturelle du défaut de définition.

Mais il y a plus, et il est absolument impossible qu’on nous montre un seul triangle tel que ceux que la géométrie considère

  1. Logique, II.e partie, chap. VI.
  2. C’est dans ce sens qu’on entend souvent dire, dans la société, que Paris, Bordeaux et Lyon forment presque un triangle.