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fruits inconnus aujourd’hui, dont les noms barbares et les descriptions n’ont aucune analogie avec ce que nous possédons maintenant[1].

La Quintinie et Merlet nous ont laissé des nomenclatures descriptives assez complètes de la Pomone française du xviie siècle. Un volume du premier de ces auteurs est consacré à des discussions sur la prééminence à accorder à certains fruits sur d’autres : véritables plaidoiries dans lesquelles, au lieu d’avocats, notre auteur fait intervenir des poires ou des pêches, défendant leur cause par tous les moyens que la chicane peut inventer. Parmi les poires admises en première ligne par la Quintinie, et qualifiées de merveilleuses, on s’étonne de voir figurer des Robine, des Ambrette d’hiver, des Petit-Oin, des Échasserie, des Bergamotte d’automne, etc., etc., dont plusieurs sont rejetées maintenant des bonnes collections d’amateurs, mais avaient sans doute, à cette époque, des qualités qu’elles ont perdues. Néanmoins, nous trouvons dans ce travail du jardinier de Louis XIV, un point de départ précieux ; il comprend l’étude de trois cent dix variétés de fruits de divers genres et espèces.

Si l’on compare cette Pomonomie avec celle de Duhamel, auteur non moins consciencieux et non moins complet, qui écrivait un siècle plus tard, on trouve pour résultat, que cent soixante-neuf variétés décrites par la Quintinie ont disparu dans le Traité des arbres fruitiers de Duhamel. Elles y sont remplacées par un nombre presque égal d’acquisitions plus récentes. Ainsi, dans l’espace d’un siècle, ces renouvellements portaient sur plus de la moitié des fruits connus.

Si l’on réunit les nomenclatures des deux auteurs précités, l’ensemble se compose de quatre cent soixante à quatre cent quatre-vingts variétés distinctes. Il est curieux et important, pour la question qui nous occupe, de déterminer celles de ces variétés qui sont ou qui peuvent encore être cultivées aujourd’hui.

Il résulte de nos recherches[2], qu’environ deux cents fruits de ces nomenclatures ont disparu, sans doute pour jamais. Leur culture est abandonnée ; on n’en trouve plus de traces. Cent seize autres subiront bientôt le même sort ; car, si elles figurent encore dans les catalogues du commerce, elles y sont indiquées comme étant de deuxième ou de troisième ordre, et devront disparaître devant les conquêtes dont la pomologie s’enrichit sans cesse. Les cent cinquante-six variétés de fruits anciens qui mériteraient encore les soins du cultivateur, ne constituent pas une objection sérieuse contre le principe de la dégénération posé par Van Mons. Il est, sans aucun doute, dans le règne végétal, des individualités dont la solidité et l’énergie vitale sont telles qu’elles se soutiennent contre les causes incessantes de dégénération auxquelles d’autres ne résistent pas ; d’ailleurs, cet abâtardissement se montre plus encore dans l’infertilité et la difficulté de culture, que dans la qualité d’un fruit. Il est facile d’alléguer à l’appui de cette règle des faits nombreux et concluants ; nous nous bornerons à en citer un seul.

La Quintinie désigne comme tout à fait nouvelles à l’époque où il écrivait son instruction pour les jardins, trois poires de premier ordre, très-connues, ce sont : la Bergamotte Crassanne, le Colmar et la Virgouleuse ou Virgoulée. Ces variétés ont donc environ deux cents ans d’existence, ainsi que l’affirme également Merlet. Sous le rapport de la saveur et de la qualité, ces fruits ne semblent nullement dégénérés ; mais, pour les cultiver avec quelque succès, l’abri d’un mur au midi ou au levant leur est maintenant indispensable. Cette nécessité est constatée, non-seulement en Belgique et dans nos départements du nord de la France, mais aussi au delà de la Loire. Peut-être pourrait-on citer un petit nombre de localités privilégiées, dont la position, le sol, de bons abris, permettent encore d’élever ces arbres en plein-vent ; mais ces exceptions admises, partout où l’on voudra les cultiver sans le secours de l’espalier, leur dégénération se trahira par la coulure de la plupart des fleurs, la petitesse des fruits, les taches et les gerçures dont ils seront couverts.

Cependant, lors de l’apparition de ces variétés, de l’année 1650 à 1680, on les considérait comme des fruits de grande culture et non d’espalier. Merlet cite la Virgouleuse pour le plein-vent ou le buisson. La Quintinie, dans la longue énumération des poiriers dont il propose de garnir sept à huit mille pieds de murailles, n’indique ni Colmar ni Bergamotte crassane, mais il réserve ces trois variétés pour ses buissons, forme qui tenait lieu, à cette époque, de celle de la pyramide[3].

On doit prendre aussi en considération que le jardinier de Louis XIV écrivait évidemment sous l’impression du climat

  1. M. Decaisne, professeur au Muséum d’histoire naturelle de Paris, et l’un des membres correspondants de la commission de Pomologie, nous a transmis, en 1850, une assez longue liste de ces fruits, avec prière de rechercher s’ils existaient encore en Belgique. On désirait les obtenir pour les classer dans la collection du jardin. Nos recherches n’ont abouti à aucun résultat.
  2. Nous nous sommes servis, pour les tableaux comparatifs, des Pomologies françaises et des principaux catalogues belges, français et anglais ; il est inutile de faire entrer dans ces recherches les Pomologies publiées en Angleterre, en Allemagne et en Hollande dans le xviiie siècle. La plupart des fruits qui s’y trouvent mentionnés sont ceux de la Quintinie et de Duhamel. Les variétés particulières à ces contrées sont en petit nombre et étaient d’une médiocre importance avant les temps modernes. (Voir Batte-Langley, Pomona, or the fruits garden illait, London, 1729 ; Mayer, Pomona Franconina, Vurtebourg, 1776 à 1779 ; Knoop, Pomologie et fructologie, etc., Amsterdam, 1768.)
  3. Nous possédons, dans notre jardin de Namur, un poirier de Virgouleuse en haut-vent ; cet arbre séculaire, énorme, greffé sur franc, se charge régulièrement de magnifiques récoltes ; ses fruits sont exempts de gerçures, parfaitement sains, lisses et sans taches, tandis que nos poiriers de Virgouleuse en espalier au midi ou au levant, nous donnent si rarement un fruit présentable que nous sommes forcés de les réformer. Ne peut-on pas conclure de là que l’arbre séculaire, exempt des altérations causées par les vicissitudes de la greffe, est plus rapproché du type primitif, et qu’il en a conservé la vigueur et la santé ?