Page:Anonyme - Les Aventures de Til Ulespiegle.djvu/216

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
216
LES AVENTURES DE TIL ULESPIÈGLE

piègle, je regrette de n’avoir pas fait trois choses, et aussi je n’ai pu les faire. – Quelles sont ces choses ? dit la béguine ; sont-elles bonnes ou mauvaises ? – Voici la première, dit Ulespiègle : Dans ma jeunesse, quand je voyais un homme marcher dans la rue, avec un habit qui dépassait sous son manteau, je le suivais, espérant que l’habit tomberait et que je le ramasserais. Quand j’étais auprès de lui et que je voyais que son habit était si long, cela me fâchait, et je le lui aurais volontiers rogné de ce qui dépassait le manteau, et je regrette de n’avoir pu le faire. La seconde chose, c’est que, lorsque je voyais quelqu’un avec un couteau entre les dents, j’aurais voulu le lui pousser dans la gorge, et je regrette de ne l’avoir pas pu. La troisième chose, c’est que j’aurais voulu pouvoir coudre le fondement à toutes les vieilles femmes qui ont fait leur temps, et qui, n’étant plus bonnes à rien, souillent inutilement de leurs ordures la terre qui nous nourrit. Que je n’aie pu le faire, je le regrette. – Dieu nous garde ! s’écria la béguine ; que dites-vous là ? Je vois bien que si vous étiez en bonne santé, et si vous aviez le pouvoir de le faire, vous me coudriez le fondement aussi, car je suis une vieille de soixante ans. – Je regrette, dit Ulespiègle, que cela n’ait pas eu lieu. – Que le diable vous garde, alors ! » dit la béguine, qui s’en alla et le laissa seul. Alors Ulespiègle dit : « Il n’y a pas de béguine, si dévote qu’elle soit, qui, lorsqu’elle est en colère, ne soit pire que le diable. »