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LES AVENTURES DE TIL ULESPIÈGLE

rejoint la princesse, elle lui dit : « Ah ! cher seigneur, qu’est-ce donc que peint votre peintre ? Vous l’avez vu ; cela vous plaît-il ? Je n’ai pas grande confiance en lui ; il a l’air d’un fripon. » Le prince répondit : « Ma chère femme, son travail me plaît beaucoup ; soyez juste à son égard. » La dame dit : « Ah ! gracieux seigneur, ne devons-nous pas le voir aussi ? – Oui, avec le consentement du maître. » Elle fit venir Ulespiègle, et demanda à voir sa peinture. Ulespiègle lui dit comme au prince, que celui qui n’était pas enfant légitime ne pouvait la voir. Alors la princesse alla avec huit demoiselles et une folle dans la salle. Ulespiègle souleva la toile comme il avait déjà fait, et se mit à raconter à la princesse la généalogie des Landgraves, pièce par pièce. Mais la princesse et les demoiselles gardaient le silence ; personne ne louait ni ne critiquait la peinture ; chacun était fâché d’avoir quelque chose à reprocher à son père ou à sa mère. À la fin, la folle prit la parole et dit : « Cher maître, dussé-je être toute ma vie une bâtarde, je ne vois rien là de peint. » Alors Ulespiègle pensa en lui-même : « Cela tourne mal ; si les fous se mêlent de dire la vérité, je n’ai qu’à décamper, » et il se mit à rire. Cependant la princesse alla rejoindre son mari, qui lui demanda si la peinture lui plaisait. Elle lui répondit : « Gracieux seigneur, elle me plaît aussi bien qu’à votre Grâce ; mais elle ne plaît pas à notre folle, non plus qu’à nos demoiselles, et je crains qu’il n’y ait de la friponnerie là-dedans. » Cela toucha le prince au cœur, et il se demanda s’il n’était pas trom-