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de Robinson Crusoé.

m’en retourner » ? Telle est en effet notre nature : nous ne sentons les avantages d’un état qu’en éprouvant les incommodités de quelque autre.

Nous ne connoissons le prix des choses que par leur privation. Personne ne concevra jamais la consternation où j’étois de me voir emporté de ma chère île dans la haute mer. J’en étois alors éloigné de deux lieues, & je n’avois plus d’espérance de la revoir. Je travaillois cependant avec beaucoup de vigueur ; je dirigeois mon canot vers le nord autant qu’il m’étoit possible, c’est-à-dire vers le côté du couvant où j’avois remarqué une barre. Sur le midi, je crus sentir une bise qui me souffloit au visage, & qui venoit du sud sud-est. J’en ressentis quelque joie ; & qui s’augmenta de beaucoup une demi heure après, lorsqu’il s’éleva un vent qui m’étoit très-favorable. J’étois alors à une distance prodigieuse de mon île. À peine pouvois-je la découvrir ; & si le tems eût été chargé, c’en étoit fait de moi : j’avois oublié mon compas de mer : Je ne pouvois donc la rattraper que par la vue. Mais le tems continuant au beau, je mis à la voile portant vers le nord, & tâchant de sortir du courant.

Je n’eus pas plutôt mis à la voile que j’apperçus par la clarté de l’eau, qu’il alloit arriver quelque altération au courant. Car lorsqu’il étoit