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de Robinson Crusoé.

qu’ils se battent avec la dernière animosité. Nous n’en trouvâmes pas un qui ne fût roide mort. Car la coutume est parmi eux de faire tête à l’ennemi, quoique blessé, jusqu’à la dernière goutte de leur sang, & les victorieux ne manquent jamais d’emporter leurs propres blessés, & ceux d’entre les ennemis que leurs blessures empêchent de prendre la fuite.

Cet accident apprivoisa mes Anglois, pendant quelque tems : ce spectacle leur avoit donné de l’horreur, & ils trembloient à la seule idée de ces cannibales, entre les mains desquels ils ne pouvoient tomber sans être tués comme ennemis, & sans leur servir de nourriture comme un troupeau de bétail. Ils m’avouèrent ensuite que la pensée d’être mangés en guise de bœuf ou de mouton, quoique ce malheur ne pût leur arriver qu’après leur mort, avoit alors quelque chose pour eux de si effroyable, qu’ils en avoient horreur ; & que pendant plusieurs semaines, les images affreuses qui leur rouloient dans l’esprit, les avoient presque rendus malades.

Ils furent quelque tems de suite fort traitables, & vaquèrent aux affaires communes de la colonie. Ils plantoient, semoient, faisoient la moisson, comme s’ils avoient vécu dès leur enfance dans ce lieu : mais cette bonne conduite n’eut point de durée, & ils prirent bientôt de nouvel-