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de Robinson Crusoé.

trésor fatal de douleur & de remords : je voyois le pauvre, au contraire, employer toutes ses forces pour gagner de quoi se soutenir, & roulant dans un cercle perpétuel de peines & d’inquiétudes, ne travailler que pour vivre, & ne vivre que pour travailler.

Ces réflexions me firent ressouvenir de la vie que j’avois menée autrefois dans mon petit royaume, où je n’avois semé qu’autant de bled qu’il m’en falloit pour un an, & où je n’avois pas daigné ramasser de grands troupeaux, parce qu’ils ne m’étoient pas nécessaires pour ma nourriture ; enfin, où je laissois moisir l’argent sans l’honorer d’un seul de mes regards pendant plus de vingt années.

Si de toutes ces considérations j’avois tiré le fruit vers lequel la raison & la réflexion me guidoient, j’aurois appris à chercher une félicité parfaite ailleurs que dans les plaisirs de cette vie ; j’aurois tourné mes idées vers une fin fixe où tend tout ce qui nous arrive sur la terre, & à laquelle la vie présente doit servir de préparatif ; en un mot, j’aurois dû songer à un bonheur dont il est de notre intérêt de nous assurer la possession, & dont nous pouvons dès-à-présent goûter les prémices.

Mais avec mon épouse j’avois perdu mon guide ; j’étois comme un vaisseau sans gouvernail que les