Page:Anonyme ou Collectif - Voyages imaginaires, songes, visions et romans cabalistiques, tome 2.djvu/63

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
59
de Robinson Crusoé.

d’avec ceux qu’il appeloit les meurtriers de sa mère. Aussi peut-on dire qu’ils l’étoient en quelque sorte ; car ils auroient pu épargner de leur portion quelque petite chose pour soutenir la vie de cette misérable veuve, quand ce n’auroit été que de quoi l’empêcher de mourir de faim : mais la faim ne connoît ni l’humanité, ni parenté, ni amitié, ni justice. Elle est sans pitié, & incapable de remords.

Le chirurgien avoit beau lui mettre devant les yeux la longueur du voyage, qui devoit le séparer de tous ses amis, & qui pouvoir le rejeter dans un aussi mauvais état que celui dont il venoit de sortir ; il dit qu’il lui étoit indifférent de quel côté il allât, pourvu qu’il se séparât de ce cruel équipage, & que le capitaine (c’est de moi qu’il entendoit parler, ne connoissant pas encore mon neveu), seroit trop honnête homme pour lui donner le moindre chagrin, après lui avoir sauvé la vie ; que pour la servante, si elle revenoit dans son bon sens, elle nous suivroit volontiers partout, & qu’elle recevroit comme un grand bienfait la permission d’entrer dans notre navire.

Le chirurgien me fit cette proposition d’une manière si pathétique, que je l’acceptai, & que je les prix tous deux avec tout leur bien, excepté onze pièces de sucre, où il étoit impossible d’at-