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le moyen de mettre pied à terre, dans deux heures environ, je ferai un plongeon héroïque ou ridicule.

« J’aimerais mieux débarquer. Mais… comment ?

« Espérons que les gens du moulin m’apercevront à temps pour s’opposer à la catastrophe. Quant à appeler à l’aide,… jamais !… Je me couvrirais de ridicule aux yeux de Jeanne, et il me faudrait dire adieu à mes espérances amoureuses. Plutôt mourir dans les flots de la Reliane !

Ces réflexions faites, et après m’être assuré de nouveau qu’aucune chance de débarquement ne m’était offerte pour le moment, je me mis à contempler avec intérêt les évolutions des libellules au-dessus des eaux transparentes.

Cette navigation à la dérive n’était pas sans charme. La barque, tournant lentement sur elle-même, présentait à l’effort du courant, tantôt l’avant, tantôt l’arrière, tantôt les flancs, et le paysage se déplaçait circulairement sous mes yeux.

Vus de la Reliane, les rivages revêtaient pour moi un aspect tout nouveau. Leur relief se dessinait mieux ; mille détails, jusqu’alors inaperçus, se révélaient à l’œil. L’onde avait fouillé la berge de la façon la plus capricieuse. Ici, la nappe d’eau dormait paisiblement sur une plage de sable fin ; là, des roches en saillie contrariaient son cours et la couvraient de rides circulaires ; plus loin, une végétation touffue oscillait sous la poussée du courant ; par places, la rive, minée par les eaux, s’était éboulée, et montrait une blessure béante hérissée de racines chevelues.

Dans une anse, les lentilles d’eau et les nénuphars s’étalaient sur un vaste espace. Des grenouilles grises et vertes, aux yeux cerclés d’or, y somnolaient béatement. Le glissement silencieux du bateau ne troubla pas leur quiétude.