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ration gênante, et de temps à autre bavait sur la fonte rougie. Brusquement, la concierge s’écria :

— Je ne trouve plus la clef.

Les croque-morts ne répondirent pas. Le dos rond, les mains tendues, ils se chauffaient dans des postures de travailleurs fatigués avant de se mettre à l’ouvrage.

Alors commença un bruit assourdissant, un bruit de tiroirs qu’on ouvrait, qu’on refermait, un remue-ménage de tasses dont le grincement traîna sur le marbre de la cheminée, un va-et-vient de clefs passées en revue, de meubles qu’une main rageuse dérangeait. Égayé par ce tumulte, un serin, dans une cage, contre la fenêtre, se mit à chanter.

— Veux-tu te taire ? cria la concierge impatientée.

Mais l’oiseau se sentait heureux, et le cou gonflé, tout droit sur un barreau, semblable à une étrange fleur jaune, il s’évertuait à lancer des roulades. Tous les yeux étaient braqués sur lui.

— Ah çà, la mère, finit par dire le plus jeune des croque-morts, nous n’avons pas le temps d’attendre, nous autres ; si on allait chercher un serrurier ? Çà ne doit pas manquer par…

La concierge lui coupa la parole.

— D’abord, la clef ne peut pas être perdue… je ne perds jamais rien… Elle est là, pour sûr, quelque part ; seulement il s’agit de la retrouver… Ce que c’est que de ne pas avoir de mémoire pour deux sous ! Chaque fois que je range quelque chose, j’ai toutes les peines pour remettre la main dessus. C’est réglé…

Et, soudain, elle poussa un cri de triomphe :

— Ah ! je ne suis guère futée… Montons, Mlle Sauvageot, qui a veillé le corps cette nuit, aura mis la clef sous le paillasson.

Les croque-morts se levèrent comme un seul homme. Au moment où on quittait la loge, le cocher du corbillard dont la haute stature, dans son manteau plantureux, barrait la porte de la rue, s’écria :