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des faïenciers, un bouquet d’herbes sèches, jadis cueillies hors barrières, étalait sa fine contexture d’aigrette. Tout était d’une propreté méticuleuse autour du cercueil allongé en plein milieu de la mansarde ; la malade avait dû se lever, peut-être la veille de sa mort, afin de ranger et d’épousseter son ménage. Non loin d’une confection pitoyable, effiloquée, pendue à un clou, défroque sur laquelle un chien n’aurait pas voulu dormir, la photographie d’un garçon boucher, le dernier amant de Francine, se pavanait en tablier blanc, au centre d’un cadre payé vingt centimes dans un bazar. Le reste avait été volé par la concierge.

Il faisait très froid.

— Allons, hop ! hop ! Guillemin, fit le croque-mort à tête sanguine.

Et rejetant son talma sur ses épaules, afin d’avoir les bras libres, il alla se planter aux pieds du cadavre. Mais Guillemin opérait un creux dans la sciure du cercueil ; un camarade le remplaça.

— Vous tenez à l’emporter avec le drap ? demanda la concierge, l’œil pétillant d’avidité.

Ils répondirent :

— Ce sera comme vous voudrez.

— Bien sûr, il vaut mieux le laisser, reprit-elle, les vivants en ont plus besoin que les morts.

Et, sans plus de façons, elle l’attira délicatement, et le jeta sur son bras, sans le plier. Francine était nue. On l’avait dépouillée même de la chemise où elle avait sué pour mourir. Rien ne voilait ses seins flétris, ses côtes aussi saillantes que des passementeries sur un dolman, l’ossature de ses larges hanches au fond desquelles son ventre glabre ne se soulevait plus. Ses jambes émaciées, très grosses aux genoux et aux chevilles, ressemblaient à de l’ivoire vieilli. Un mince porte-bonheur en cuivre, quelque souvenir d’amour sans doute, cerclait encore son poignet droit. Et comme les croque-morts pris d’émotion s’étaient regardés, la concierge rendit le drap.