Page:Apollinaire - L’Enfer de la Bibliothèque nationale.djvu/248

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sociales et autres, qui servent d’intermèdes aux scènes de débauche et aux supplices, montrent que le marquis de Sade n’était pas qu’un monomane enragé de luxure : il avait beaucoup lu, et, ce qui surprendra, quelque peu médité. Il n’est pas que l’écho des D’Holbach et des La Mettrie, dont il s’inspire évidemment : il a des idées à lui, et quelquefois des idées neuves. Qui s’attendrait, par exemple, à trouver en germe, dans un livre tel que Justine, les doctrines de Darwin sur l’évolution des espèces et la sélection par la lutte pour la vie ? Telle était l’extraordinaire fermentation des esprits, à l’aurore de la Révolution, qu’on en rencontre des témoignages jusque dans les documents où on ne songerait certes pas à les chercher. »

Quelques éclaircissements sont nécessaires pour expliquer une allusion de Bonneau :


Le marquis de Sade était l’ami de Marat dont il a écrit l’éloge. D’un autre côté, Saint-Just avait fait de la Justine son livre de chevet, et la lisait, sinon pour s’exciter à la cruauté, comme l’affirme un bibliographe, du moins pour se cuirasser contre la sensiblerie qu’il jugeait néfaste à la tâche de salut public qu’il s’était assignée.

À ces deux faits se bornent, sans doute, toute l’influence de la Justine sur les Révolutionnaires de 1793.

Alcide Bonneau a écrit, également, dans la Curiosité Littéraire et Bibliographique, une étude assez étendue sur l’ouvrage de de Sade. On nous permettra d’en citer également la conclusion qui donnera aux lecteurs, mieux que la préface citée plus haut, une idée exacte de Justine :


« …Tel est ce roman trop fameux, que l’on peut prendre pour le dernier mot de l’aberration perverse et de la conception délirante ; on ne fera jamais mieux ni plus complet. Justine est un rêve monstrueux, ne laissant dans l’esprit d’autre impression que celle d’un cauchemar ; les pensées et maximes, dont ce livre abject est émaillé, formeraient un code qui nous manque, le code de la scélératesse. Nous avons pu en donner une idée ; ce que nous avons dû passer sous silence ou n’indiquer qu’obscurément, c’est ce que l’auteur appelle avec complaisance les fantaisies, les écarts de passion, les procédés, les taquineries de ses immondes héros et qui sont autant d’actes inouïs de férocité ou de luxure. Les deux thèses