Page:Apollinaire - L’Enfer de la Bibliothèque nationale.djvu/292

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n’y en avait que trois feuilles détachées, tirées en épreuves à l’encre rouge, et qui formaient tout au plus le quart de l’ensemble : l’Essai sur l’homme y était parodié vers par vers.

« On avait aussi une imitation grivoise des poèmes de Pope : La Prière universelle et le Chrétien mourant, et même une paraphrase du Veni creator, intitulée Prière de la Vierge.

« Tel était le butin des ministres. L’ouvrage était impie, sans nul doute, mais personne ne pouvait le qualifier de publication, puisqu’il était encore incomplet, et n’avait été destiné qu’à être reproduit à douze exemplaires pour l’usage particulier de quelques amis.

« Malgré la répugnance du chancelier Northington, jovial réprouvé qui, n’ayant pas oublié le temps de ses anciennes débauches avec Betsy Sans Souci, aux environs de Covent Garden, avait peine à faire à Wilkes un crime de ces péchés de jeunesse, le gouvernement résolut de prendre ce poème obscène pour prétexte à poursuivre son ennemi.

« Le 15 novembre, à la rentrée des Chambres, lord Landwich, le nouveau secrétaire d’Etat, prit la parole à la Chambre des lords, pour se plaindre « d’un imprimé intitulé : Essai sur la femme, où on lisait des notes attribuées au très Rév. Doct. Warburton, archevêque de Gloucester ; déclarant qu’un pareil usage du nom d’un lord était une grave injure faite à l’Assemblée. Prenant un air de vertueuse indignation, le consciencieux jeune comte stigmatisa l’ouvrage, scandaleuse profanation des Saintes Écritures et conclut que M. Wilkes avait « violé les lois les plus sacrées de la piété comme de la décence » !

« La plupart des nobles lords, en écoutant ce discours, étaient enchantés de ce que leur ennemi eût écrit ce livre, qui leur donnait barre sur lui ; mais tous aussi étaient stupéfaits de l’effronterie du secrétaire d’État : il était de notoriété publique, en effet, que lord Landwich avait aidé et accompagné l’homme qu’il flétrissait aujourd’hui, dans ses plus scandaleuses débauches, qu’il avait pris part avec lui à toutes les orgies de Medmenham Abbey, club licencieux dont les membres, s’intitulant moines de saint François, s’amusaient à offrir des sacrifices à Vénus et à Bacchus ; enfin, qu’il était, depuis deux ans, membre de la Sublime Société des Beefsteaks aux assemblées de laquelle il s’était réjoui d’entendre les mêmes vers qu’il condamnait à présent.