Page:Apollinaire - Le Flâneur des deux rives.djvu/51

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guerre un beau livre de littérateur : Les Heures déchirées.

Le premier dimanche de mars, en 1915, je déjeunais au petit restaurant de la Grille, quand un caporal de la ligne se leva de table et m’aborda en me récitant une strophe de la Chanson du Mal-aimé.

Je fus interloqué. Un deuxième canonnier-conducteur n’est pas habitué à ce qu’on lui récite ses propres vers. Je le regardai sans le reconnaître. Il était de haute taille, et, de figure, ressemblait à un Victor Hugo sans barbe et plus encore à un Balzac. « Je suis Léo Larguier, me dit-il alors. Bonjour, Guillaume Apollinaire. » Et nous ne nous quittâmes que le soir à l’heure de la rentrée au quartier. Ce jour-là et les jours suivants nous ne parlâmes pas de la guerre, car les soldats n’en parlent jamais, mais de la flore nîmoise dont, en dépit de Moréas, le jasmin ne fait pas partie. Quelquefois, l’aimable M. Bertin, secrétaire général de la préfecture, nous apportait l’agrément de sa conversation enjouée et d’une érudition spirituelle. La voix terrible de Léo Larguier dominait le colloque et j’en entends